Merci à SM d’Econoclaste d’avoir déniché cet article qui m’a donné envie d’écrire ce qui suit. Il s’agit d’un commentaire des nouvelles mesures de politique familiale allemande entrées en vigueur le 1er janvier 2007. Le taux de fécondité est actuellement de 1,3 enfant par femme outre Rhin, ce qui suscite des craintes de déclin démographique et d’effondrement du système de retraites par répartition. En Allemagne, les allocations familiales sont beaucoup moins généreuses qu’en France, et le nombre de crèches est faible ce qui explique probablement qu'un grand nombre de jeunes mères restent à la maison. De manière générale, la dépense publique allemande en faveur de la natalité est plus faible que chez nous. Observant qu’en France le taux de fécondité est de 1,9 enfant par femme, le gouvernement de A.Merkel a décidé de mettre en place des allocations plus incitatives à partir du 1er janvier 2007. Cette mesure semble efficace, puisque l’article cité plus haut raconte de façon anecdotique que certaines femmes ont tenté de retarder la date de leur accouchement jusqu’au 1er janvier afin de bénéficier de la hausse des allocations.
A ce stade, on peut déjà faire deux constats :
- la dépense publique globale de la politique familiale française est massive (de l’ordre de XXX Md€ – plus de 50 Md€ je crois – rien qu’en comptant les allocations familiales, le quotient familial, et les crèches municipales qui sont des dépenses visant exclusivement la famille) ;
- les études montrent que les politiques familiales sont efficaces, c’est-à-dire qu’elles modifient de façon très significative le comportement des gens en matière de procréation, et l’anecdote de la mesure allemande entrant en vigueur le 1er janvier ne fait que le confirmer.
Reste maintenant à poser une question que l’on se pose (trop) rarement : est-il légitime d’encourager les gens à faire des enfants ? Autant vous donner tout de suite ma réponse : c’est un non catégorique, et je m’en vais de ce pas justifier cette affirmation.
Il y a de nombreuses justifications possibles de la politique familiale. J’en liste ici quelques-unes pour mieux montrer en quoi aucune d’elle ne justifie une intervention publique :
- faire des enfants est une bonne chose, rend les gens heureux, et l’intervention de l’Etat dans ce domaine augmente notre bien-être ;
- un enfant coûte cher, ce qui fait que les pauvres sont pénalisés dans leur désir d’enfants par rapport aux riches ;
- il est nécessaire pour le bien de la France d’assurer le renouvellement des générations et d’éviter tout déclin démographique comme en Allemagne ;
- toute baisse ou ralentissement démographique mettrait en danger notre système de retraites par répartition (entre autres), et la solidarité entre générations ;
- s’il y avait moins d’enfants, les pédophiles auraient plus de difficultés à trouver des victimes.
J’espère que vous trouvez choquant le dernier argument, c’est pour cela que je l’ai donné. Il s’agit justement de montrer que, malgré les apparences, certaines justifications qui nous paraissent bénignes ne sont en réalité pas différentes de la dernière. Si vous êtes convaincu de cette ressemblance, vous serez sans doute d’accord qu’il est immoral d’inciter les gens à faire des enfants au bénéfice des pédophiles, tout comme il est immoral de les y inciter pour toutes les autres raisons.
Imaginons qu’un pédophile cherche à payer une mère afin qu’elle porte un enfant qui deviendra sa victime. Toutes les mères seront révulsées à cette idée, et la plupart refuseront. Mais dans la mesure où le prix payé par le pédophile est la contrepartie de la souffrance de la mère, il arrivera à en convaincre quelques-unes moyennant un prix suffisamment élevé. Ce type de crime parental odieux existe avec différentes variantes (prostitution, esclavage infantile, etc.), ce qui montre que l’exemple n’est pas aussi théorique qu’il en a l’air. Ce qu’il faut retenir de l’exemple du pédophile est qu’il constitue un échange entre lui et la future mère : du plaisir contre de l’argent pour lui ; de l’argent contre de la souffrance pour elle. Ce que je n’ai pas dit, c’est que notre pédophile ne veut en aucun cas user de la contrainte avec la mère. La transaction se fait donc avec le consentement des deux parties, à un prix tel que chacun y trouve son avantage. Qu’en est-il pour l’enfant ? C’est un être innocent qui va naître pour souffrir, et rien ne viendra atténuer sa souffrance. Comme tout esclave ou tout enfant prostitué, il va endurer les pires sévices sans avoir donné son consentement et sans aucune forme de contrepartie.
Si vous avez tenu le coup jusqu’ici, vous avez compris où je voulais en venir : A et B font un échange mutuellement bénéfique, tandis que C qui est placé sous la responsabilité de B donne à A sans contrepartie. C’est exactement ainsi que l’on justifie parfois les allocations familiales : les cotisants du système de retraite paient des mères pour les inciter à faire des enfants qui paieront leur retraite. Cela n’a rien à voir avec ce qui se passe dans les société traditionnelles, où les gens comptent sur leurs enfants pour s’occuper d’eux pendant leurs vieux jours. En effet, ce schéma traditionnel est une forme d’échange équilibrée entre les parents et les enfants. Les parents s’occupent de leur progéniture, qui en retour les nourrit une fois qu’ils sont vieux. Des parents indignes qui battraient leurs enfants courent ainsi le risque d’être abandonnés plus tard par leurs enfants, et supportent donc les conséquences de leurs actes, ce qui les responsabilise. Une autre forme d’échange est rendue possible par l’héritage, car dans les sociétés où le futur défunt peut disposer librement de son bien, il peut attribuer la succession aux enfants ou aux personnes de son choix qui se seront occupé de lui pendant ses derniers moments. Ce sont des échanges consentis entre un adulte et un enfant, mutuellement bénéfiques, et qui n’ont donc rien à voir avec l’exemple du pédophile ou des retraites. A l’inverse, ces deux derniers comportements ont en commun l’absence de consentement : les cotisations retraites doivent être prélevées par la contrainte, et certaines personnes tentent sans succès de s’y soustraire, et les enfants ne peuvent pas donner leur consentement au pédophile en raison de leur immaturité, ce qui caractérise bien un vice (sic) de consentement.
Les autres justifications de la politique familiale citées plus haut peuvent être écartées assez rapidement. Si le fait d’avoir des enfants rend les gens heureux, il n’y a aucun besoin que l’Etat les y incite, sinon il devrait aussi diriger nos autres activités hédoniques. De plus, il y a des gens qui, quoi qu’on en pense, n’aiment pas les enfants, et qu’une telle politique pénalise. En clair, dans nos sociétés, les célibataires sans enfants sont culpabilisés par un impôt punitif. Cette idée était poussée à son comble sous Vichy, puisqu’un couple qui n’avait pas d’enfant dans ses deux premières années de mariage se voyait retirer l’avantage fiscal du mariage. Pour ce qui est des pauvres, et du fait qu’un enfant coûte cher, la réponse est apportée par une observation simple : ce ne sont pas les couples les plus pauvres qui ont le moins d’enfants mais les plus riches. On explique généralement ce phénomène par le fait qu’un riche se prive d’un salaire élevé en ayant un enfant et dépensera plus pour l’élever, tandis que le coût d’opportunité pour un pauvre est plus faible. Une politique familiale qui viserait à compenser les inégalités de revenus devrait donc aider les riches à supporter financièrement le coût de leur enfant. Les pauvres manquent d'argent pour toutes sortes de choses et pas seulement faire des enfants et il est injuste de leur donner des allocations à condition qu'ils aient des enfants. Si on se préoccupe du bien-être des pauvres, il vaut mieux leur donner de l'argent qu'ils pourront utiliser comme bon leur semble. Quant au déclin démographique, c’est un lieu commun qui n’a aucun fondement. Lorsqu’un grand malheur comme une guerre ou une épidémie s’abat sur une nation, sa population peut diminuer, ce qui nous fait confondre malheur et baisse démographique. Mais ce n’est pas la baisse démographique qui engendre le malheur. Sans être malthusien, on peut même voir qu’elle a certains avantages : plus de place, plus de ressources, un environnement moins pollué, et au final un bien-être qui s’améliore ou en tout cas qui ne diminue pas.
Je ne prétends pas que la liste des justifications avancées ici est exhaustive. Si vous voyez d’autres arguments en faveur de la politique familiale, vos commentaires sont les bienvenus. Mais au vu de ce qui précède, les principaux arguments en faveur d’une politique familiale sont de nature économique. C’est d’ailleurs ce que nous disent les chiffres, car nos dépenses familiales sont absolument considérables : si XXX Md€ ne sont pas une intervention à visée économique, qu’est-ce qui l’est ? C’est aussi le principal argument avancé par les Allemands pour la mise en place au 1er janvier de nouvelles allocations. C’est enfin une idée généralement acceptée que si un pays a trop d’enfants – comme en Afrique – il se porte moins bien, de même que s’il en a trop peu – comme l’Allemagne –, et qu’il faut donc tendre au renouvellement des générations. Or non seulement ce sont de mauvaises raisons, mais elles ne justifient en rien une intervention publique. Une telle intervention consiste à imposer à toute la population un choix arbitraire au lieu de laisser les gens prendre leur décision à titre privé.
Si un couple est inquiet pour sa retraite, et veut plus d’enfants pour assurer ses vieux jours, il peut assumer ses responsabilités et avoir un enfant. L’échange entre parents et enfants aura lieu entre parties consentantes et responsables, et sera équilibré contrairement au schéma A-B-C décrit ci-dessus. Maintenant examinons le scénario suivant : M. et Mme Dupont veulent s'acheter une voiture, et pour cela ils doivent soit réduire le reste de leur consommation, soit entamer leurs économies. Ne souhaitant faire ni l'un ni l'autre, ils font un enfant et trouvent le moyen de l'endetter à la naissance afin qu'il rembourse plus tard leur achat. Ou, ce qui revient au même, ils cassent leur plan d'épargne retraite pour s'acheter un bolide, et font en sorte que leur enfant s'occupe de leur retraite. Cet exemple est volontairement caricatural, mais il montre bien le dilemme. Comme dirait un biologiste, il y a un conflit d'intérêt entre les parents et les enfants sur la taille optimale de la couvée. Encore les Dupont sont-ils responsables de la décision qu'ils prennent pour leur propre enfant. Mais les politiques familiales publiques sont une incitation par laquelle l’Etat utilise les impôts de tous les cotisants (A) afin d’encourager tous les Dupont (B) à avoir des enfants (C). Les cotisants A bénéficient de cette politique puisqu’ils peuvent ainsi accroître leur consommation et/ou leur retraite en contrepartie d'un impôt. Les parents B ne perdent pas au change, puisque la charge marginale que représente pour eux le fait d’élever des enfants supplémentaires est exactement compensée par les allocations. En revanche, les enfants C sont les grands perdants de l’opération, puisqu’ils plus tard ils devront donner à A sous la contrainte, sans aucune contrepartie ni consentement. Comme dans l’exemple du pédophile, une telle politique ne respecte pas les droits des êtres humains qui vont naître.
06 janvier 2007
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