11 septembre 2008

Petite digression : d'UGC à Bastiat

Voici un billet écrit suite à une conversation sur les autorisation administratives relatives aux cartes illimitées lancées par certains cinémas. L'exemple numérique vient d'un article d'éconoclaste.

Petit jeu sur la tarification d’un spectacle (concert, cinéma, etc.)

Un organisateur de spectacles monte deux concerts à Patrimonio. Le premier est un concert de Didier Lockwood, et le second de Deep Purple. Il n'y a pas de limitation de places sur le lieu du spectacle, et le public est composé de 400 personnes, dont :

-         100 sont fans de jazz et sont prêts à payer 45 € pour DL, et seulement 5€ pour DP,

-         100 sont amateurs de jazz et sont prêts à payer 40 € pour DL, et 20€ pour DP,

-         100 sont amateurs de rock et sont prêts à payer 20€ pour DL, et 40€ pour DP,

-         100 sont fans de rock et sont prêts à payer 5 € seulement pour DL, mais 45€ pour DP.

 

Ces valeurs sont basées sur les préférences (goûts) des spectateurs. En résumé, on a donc le prix maximum que les gens sont prêts à payer : 

 

FJ

AJ

AR

FR

Didier Lockwood

45€

40€

20€

5€

Deep Purple

5€

20€

40€

45€

AJ = amateur de jazz, FR = fan de rock, etc.

 

Question : L’organisateur veut optimiser sa recette. Quelle politique de prix doit-il adopter ?

 

1)      L’organisateur propose un forfait pour deux ou un prix pour une entrée

Se basant sur son intuition d’entrepreneur et sa connaissance du public, l’organisateur décide de proposer les places seules à 45€ et un forfait pour les deux concerts à 60€ : 

 

FJ

AJ

AR

FR

Didier Lockwood

100 x 45€

100 x 60€

100 x 60€

 

Deep Purple

 

100 x 45€

Recettes

4500€

6000€

6000€

4500€

Recettes : 21000€. Nombre de spectateurs : 600 (300 à chaque concert)

D’après le tableau des préférences il n’est pas possible d’augmenter les recettes. Si l’on passe à 41€ dans le cas 1) ou à 46€ et 61€ dans le cas 2), on perd une partie du public, ce qui fait baisser les recettes. On verra plus loin qu’un prix par entrée est moins rentable que le forfait.

Dans cet exemple, l’organisateur est libre de demander le prix qu’il veut à qui il veut pour la formule qu’il veut. En d’autres termes, c’est une situation de totale liberté des prix. Envisageons maintenant différentes interventions de l’Etat, et regardons les conséquences.

 

2)      Contrôle des prix

a) L’Etat fixe un prix plafond pour « protéger les consommateurs », par exemple le prix de la place de spectacle ne peut pas dépasser 30€. A ce tarif, les recettes sont comme suit : 

 

FJ

AJ

AR

FR

Didier Lockwood

100 x 30€

100 x 30€

 

 

Deep Purple

 

 

100 x 30€

100 x 30€

Recettes

3000€

3000€

3000€

3000€

Recettes : 12000€. Nombre de spectateurs : 400 (200 à chaque concert)

Commentaire : le prix plafond limite les recettes de l’organisateur qui ne rentabilise peut-être plus ses spectacles. Dans ces conditions, certains spectacles auront lieu sans trop de conséquences, mais d’autres ne seront tout simplement pas montés. C’est-à-dire qu’au lieu d’avoir 400 spectateurs, il y en aura 0.

Exemple : plafonnement des loyers. Conséquence : pénurie de logements.

 

b) Alternativement, l’Etat fixe un prix plancher pour « protéger les producteurs », par exemple le prix de la place ne peut pas être inférieur à 45€. A ce tarif, les recettes sont : 

 

FJ

AJ

AR

FR

Didier Lockwood

100 x 45€

 

 

 

Deep Purple

 

 

 

100 x 45€

Recettes

4500€

 

 

4500€

Recettes : 9000€. Nombre de spectateurs : 200 (100 à chaque concert)

Commentaire : le prix plancher augmente la dépense pour les spectateurs et décourage donc la consommation, tout comme le prix plafond décourageait la production. Dans certains cas – comme ici – il peut se retourner contre les producteurs et diminuer leurs recettes en décourageant certains spectateurs d’assister au concert.

Exemple : prix du livre. Conséquence : livres plus chers, moins de lecteurs.

 

3)      Liberté des prix à l’intérieur d’une formule tarifaire fixée

L’Etat laisse l’organisateur choisir son tarif à condition qu’il fasse payer un prix par entrée – les forfaits ne sont pas possibles. Le prix optimum est 40€, et à ce tarif, les recettes sont :

 

FJ

AJ

AR

FR

Didier Lockwood

100 x 40€

100 x 40€

 

 

Deep Purple

 

 

100 x 40€

100 x 40€

Recettes

4000€

4000€

4000€

4000€

Recettes : 16000€. Nombre de spectateurs : 400 (200 à chaque concert)

Commentaire : ici, l’organisateur peut découvrir le prix de 40€ qui maximise ses recettes dans un cadre fixé. A l’inverse, un prix fixé par l’Etat n’a aucun intérêt :

-         si il est inférieur à 40€, il avantage les spectateurs et pénalise l’organisateur (cas 1a)

-         si il est supérieur à 40€ il est inopérant, car l’organisateur facture 40€ (cas 3)

-         si il est égal à 40€, on ne voit pas ce qui justifie son intervention.

La liberté des prix à l’intérieur d’une formule tarifaire fixée est donc un système meilleur que le contrôle complet des prix. Mais ce n’est pas aussi bien que la liberté totale, puisque les recettes de l’organisateur sont diminuées, ce qui décourage la production de spectacles. Le seul effet observable est une redistribution – transfert, sans création de richesses, ou avec destruction de richesses – d’un groupe vers un autre groupe. 

Exemple : prix des appels mobiles depuis l’étranger (la CE a interdit qu’il y ait un trop grand écart par rapport au prix des communications nationales).



Conclusion
 :

-         avec un prix plancher, la recette est de 9000€ car on perd certains spectateurs,

-         avec un prix plafond, la recette est de 12000€, ou 0 si on perd l’organisateur,

-         avec un prix par entrée sans forfait, la recette est de 16000€,

-         avec une liberté totale des prix, et des forfaits, la recette est de 21000€.

 

Plus il y a de contraintes, plus la recette – le « PIB », la « croissance » – est faible. Mais chassons tout de suite un quiproquo possible : l’objectif n’est pas de maximiser les recettes ni le PIB, ni la croissance ! Ce qui justifie la liberté des prix, ce n’est pas le fait que la croissance est plus importante, mais le bien-être que retirent les gens lorsqu’ils sont laissés libres de choisir leur(s) fin(s) et le(s) moyen(s) de les atteindre. Accessoirement, la croissance sera plus élevée, mais cela ne fait que traduire une évidence : les gens font plus d’échanges lorsqu’on les laisse libres d’échanger… simple, non ?

 

De nombreux économistes « néoclassiques » raisonnent un peu différemment. Ils estiment par exemple qu’une place pour Deep Purple « vaut » 45€ pour un fan de rock, et que s’il l’achète pour 40€ il « gagne » 5€. Comme si son gain de satisfaction – appelé surplus – pouvait être valorisé, et estimé à 5€. Franchissant un autre pas, ils additionnent les surplus des différents individus de la société, et concluent que la liberté du commerce maximise cette « satisfaction sociale » (sous conditions). Ainsi, si 100 fans de rock ont un surplus de 5€, le « bien-être de la société » augmente de 500€. Sans rentrer dans les détails, tout ce raisonnement est assez frelaté. Pour ma part, je préfère abandonner les exemples chiffrés, et revenir aux principes :

 

Le plafonnement des prix décourage la production, et les prix plancher découragent la consommation. La manipulation des formules tarifaires n’est pas différente du contrôle des prix. Sous des apparences de liberté, elle masque une manipulation des prix qui a souvent pour objectif d’avantager un groupe au détriment d’un autre. Même si l’on admet que la redistribution ou certains transferts sont parfois légitimes, rien ne justifie de les faire d’une manière aussi opaque. C’est pourquoi de nombreux partisans de la redistribution sont opposés à la manipulation des prix. Mais la plupart du temps, ces contraintes légales sont le résultat d’un habile lobbying industriel. Deux économistes qui ont participé au rapport Attali ont même recueilli des confidences de hauts fonctionnaires qui leur ont avoué que, bien souvent, ce sont les indutriels eux-mêmes qui tiennent la plume pour rédiger ces lois…

 

La loi, enfin, a un inconvénient majeur : elle évolue lentement, tandis que l’environnement économique change plus ou moins vite au cours du temps. Un contrôle des prix qui, par chance, n’aurait pas trop d’effets secondaires au démarrage, peut devenir extrêmement pénalisant après quelques années du fait des changements économiques, techniques, et de l’évolution des préférences des gens. Mais, bien souvent, il restera en place, car un contrôle des prix est politiquement difficile à retirer. Il fau(drai)t donc réfléchir à deux fois avant de prendre des mesures qui conduisent à manipuler les prix de marché. Ce n’est pas vraiment l’état d’esprit de nos députés et ministres qui ne rêvent que d’une chose : mettre leur nom sur une loi, poser une pierre supplémentaire sur l’édifice de l’inflation législative, et grignoter nos libertés.

 

Au final, tout cela revient au même : on interdit à certains échanges bénéfiques d’avoir lieu ; on empêche les gens de faire ce qu’ils désirent pour les orienter vers ce que l’Etat désire qu’ils fassent ; pour reprendre le langage de Bastiat, on met des obstacles sur leur chemin et on les éloigne de leurs fins.