26 novembre 2008

La bonne nouvelle du jour

éconoclaste-stéphane écrit :
C'est la contestation concertée de la limite des 3% de déficit public du traité de Maastricht. Ce chiffre, dont on sait qu'il n'a pas de fondement théorique, a probablement jusqu'ici été négatif pour la régulation conjoncturelle, les avantages de la règle (éviter un très grand n'importe quoi) ayant été limités (voir les ruses de sioux comptables) alors que les inconvénients étaient clairs (absence de souplesse et déresponsabilisation : "c'est l'UE, ma bonne dame" ou absence de réduction en période d'expansion). Le pire n'étant jamais certain, je n'exclue pas de regretter un jour ces mots. En attendant, Nicolas Sarkozy transformera-t-il cette (possible) nouvelle souplesse en quelque chose de bien ou se contentera-t-il d'arroser amis et secteurs vendeurs médiatiquement parlant ? Difficile à dire.
Gu Si Fang commente :

Le pacte de stabilité était une tentative de constitution monétaire et budgétaire. Il limitait les pouvoirs des Etats membres, ce qui est l'un des rôles d'une constitution.

Certes, ce contre-pouvoir était bien chétif. Le plafond de 60% de dette/PIB, par exemple, a été oublié depuis longtemps. Avec les 3% de déficit budgétaire, et officieusement l'objectif de 2% de hausse des prix, la constitution monétaire et budgétaire est à présent complètement morte et enterrée.

Les Etats ont donc recouvert leur souveraineté budgétaire, dont acte. La différence avec la période antérieure, c'est qu'il y a maintenant l'euro. Pour faire un parallèle, imaginez que les collectivités locales soient dotées du même pouvoir, et qu'elles puissent entretenir un déficit budgétaire et accumuler les dettes...

A mon avis, tout est en place pour un retour durable des déficits publics. La BCE ayant cédé sur la stabilité des prix, la monétisation de la dette sera l'issue probable. Or le fait d'avoir une BCE permet de monétiser la dette de façon beaucoup plus efficace, moins visible (dans un premier temps) et à une autre échelle que ce qui était possible avec des monnaies nationales. Le taux de change, par exemple, qui servait de bonnet d'âne pour les Etats impécunieux, a disparu.

Nous avons donc à présent le système institutionnel suivant :
- des Etats dont les représentants politiques peuvent de nouveau dépenser sans trop compter si cela les aide pour être élus
- une BCE dont les dirigeants ne sont pas élus et peuvent prélever d'une manière redoutablement efficace l'impôt d'inflation, l'impôt le plus opaque et le plus injuste qui soit

Même si l'on croit à l'utilité des politiques de relance (ce qui n'est pas mon cas), il faut reconnaître que ce cadre institutionnel permet tous les abus. Et abus il y aura, je le crains.

Le problème des retraites (8/40) : pédagogie écrite et orale

Antoine écrit :
J’ai fait quelques essais de pédagogie du système de comptes notionnels hors des pages de ce blog : d’abord en répondant aux interrogations des lecteurs de Libération qui restaient dubitatifs sur le financement en répartition d’un tel système, ensuite en participant à l’émission de France Culture « L’économie en question » de Caroline Broué et Olivier Pastré lundi 24 novembre. J’étais l’invité de l’émission aux côtés de J-C Leduigou, secrétaire général de la CGT et responsable, entre autres, de la question des retraites. Récit d’une première fois en direct à la radio… 

Comme toutes les premières fois, c’est à la fois stressant et un peu excitant. Peur de ne pas être à la hauteur, le trou blanc, la panne… et puis pris dans l’émission, on se laisse prendre par la conversation et le débat. Les journalistes et J-C. Leduigou ont été indulgents avec le petit jeune et au final l’expérience n’a pas été désagréable. Elle m’a surtout permis de rencontrer un responsable d’une grande centrale syndicale et d’essayer de le convaincre de considérer notre proposition.

Sur le fond, J-C. Leduigou n’a pas (encore) été convaincu par notre proposition même s’il semble acquis à la proposition de revoir complètement notre système de retraite. Il partage le diagnostic à l’origine de cette proposition : un système complexe, parsemé d’injustices et d’incertitude sur les droits à la retraite, dont la garantie financière n’est pas assurée et dont certains aspects (comme la revalorisation par les prix) ont des effets pervers encore peu visibles.

A l'inverse son opposition au système de comptes notionnels comme un retour à un « système d’assurance » et comme un système inégalitaire ne m’a pas vraiment convaincu. Son affirmation que nous sommes sorti du système d’assurance vieillesse (et dans un système de « salaire différé ») me semble reposer sur une vision étrange (ou que je ne comprends pas bien) des cotisations retraites : pas vraiment des cotisations (sinon il y a assurance), pas des impôts (elles ouvrent des droits à la retraite)…  Qu’est-ce alors qu’un système de « salaire différé » ? Un système où la retraite dépend du dernier salaire uniquement ? profitant ainsi aux salaires plus élevés et organisant la redistribution des plus pauvres vers les plus riches ? 

Quant à l’accusation récurrente que le système de comptes notionnels est inégalitaire, il repose sur deux erreurs ou malentendus : la première est de croire que le système actuel est le parangon de la redistribution quand il organise de multiples redistributions à l’envers, qui restent cachées à l’oeil du citoyen. La seconde est d’oublier que le système de comptes notionnels repose sur un deuxième pilier de redistribution, financé par l’impôt, qui permet de créditer les comptes de tous ceux qui ont des aléas de carrière ou des salaires faibles tout au long de leur vie. Il n’y a pas de niveau de redistribution qu’on ne puisse répliquer (et a fortiori augmenter) dans un tel système. La seule condition requise est la transparence. 

Pour poursuivre le débat, les lecteurs peuvent aller lire (ou relire) les posts consacrés la retraite sur Ecopublix.

Gu Si Fang écrit :

Bravo pour vos interventions qui étaient pédagogiques et claires (à 30 ans, je dis chapeau!). J'en ai profité pour relire votre étude.


En résumé, j'apprécie beaucoup votre critique du système actuel. Je regrette que vous ne remettiez pas en question le principe de la retraite par répartition et son niveau élevé (25%). Comme c'est une question d'opinon, dont acte. Surtout, il me semble qu'on ne peut pas parler des retraites sans les relier à trois notions élémentaires d'économie : la concurrence, le taux d'intérêt, et la théorie du capital. Voir ci-dessous pour quelques détails.


Vous ne vous focalisez pas sur l’équilibrage des comptes. Vous abordez de façon honnête les vraies questions de fonds, sur laquelle votre analyse me semble juste :

- la dette implicite que constituent les droits à la retraite du système actuel

- le conflit générationnel que cela crée

- l’incertitude engendrée par un système qui est tout sauf sécurisant

- votre critique de la redistribution inverse opaque et bien sûr injuste du régime actuel (pour certains cotisants modestes, ayant eu une faible progression de salaire, ou ayant une espérance de vie relativement courte)

- l’abaissement des plafonds délirants du système actuel (même remarque qu’au point précédent)

- la suppression des régimes d’exception

- au passage : la critique (à laquelle j’adhère à 100%) du paquet fiscal


Dans votre proposition, j'ai aimé :

- la prise en compte des incitations

- la définition et la protection de droits individuels

- la séparation claire entre contribution et redistribution (j'y vois un principe de séparation des pouvoirs, entre d’une part le monopole d’un service public, et d’autre part le pouvoir d’agir en « Robin des bois » ; le but étant d’éviter que le pouvoir de Robin des bois ne tombe aux mains d’intérêts privés ou catégoriels…)

- l’idée que la retraite fait partie du patrimoine de chacun (c’est socialement très important, car un nouvel entrant talentueux dans la société n’a que son travail – et donc son salaire – comme richesse, s’il veut progresser et « bousculer » l’establishment)


Les faiblesses sont à mon avis les suivantes :

- le système unique – « harmonisé » – qui se traduit par l’absence totale de concurrence (le mot concurrence ne figure pas dans l’étude, à mon grand regret)

- l'accréditation du mythe que les marchés financiers n'offrent pas une sécurité suffisante pour nos retraites (vous n'êtes pas seul ;-) alors que c'est la politique monétaire (publique) et les déficits (publics) qui en sont la cause

- le taux de cotisation élevé et non négociable de 25% qui ne se justifie pas sous prétexte de pallier à l’imprévoyance de quelques uns (il y aurait déséquilibre si l'on baissait le taux ou si l'on proposait une clause d'opt-out, mais vous devrier l'aborder franchement et expliquer pourquoi vous êtes contre)

- l’idée du taux de rendement « garanti » par l’Etat (de même que l'Etat ne peut pas offrir des crédits à bas taux, il ne peut pas offrir des placements à rendement élevé)

- la dépendance sur des indices officiels facilement manipulables : espérance de vie, masse salariale, et surtout inflation

- la confusion entre taux d’intérêt et taux de croissance / gains de productivité (erreur grave!)

- un système favorable à l’économie d’endettement, notamment parce que le compte notionnel n'est pas un vrai patrimoine

- l’espoir hélas naïf que tout supplément de cotisations pourrait être capitalisé (pourquoi y aurait-il des suppléments de cotisation volontaires? et si ils sont involontaires il seront en redistribués, cf. le triste sort du FRR)

Réponse de Antoine :

@Gu-si-fang: merci pour vos commentaires positifs. J'essaie de répondre rapidement à quelques unes de vos critiques: 
-l’avantage d’un système unifié et harmonisé c’est de réduire les coûts administratifs. L’avantage de la concurrence c’est de jouer comme pression pour réduire ses coûts. Je pense que dans le cas des retraites publiques et obligatoires les avantages d’un système unique l’emportent sur les avantages de la concurrence. 
– je reviendrais dans un post sur les marchés financiers et la répartition 
– le taux de cotisation actuel dépend non pas du souhait de protéger l’imprévoyance de quelques-uns mais du fait que l’on a fait des promesses par le passé à des générations qui ont cotisé pour leurs aînés : il s’agit d’honorer une dette passée de la même façon que lorsque qu’on rembourse la dette de l’Etat. 
– les indices ne sont pas si facilement manipulables car ils sont forcément publiés et n’importe quel économiste peut les critiquer ; idéalement ils devraient être produit par une institution indépendante .


Commentaire de GSF :

Que pensez-vous de la clause d'opt-out?

J'écarte d'emblée une objection :

Si quelqu'un veut purement et simplement "quitter la Sécu" cela revient à faire porter par les autres cotisants sa part de la dette implicite, ce qui est injuste.

Une clause d'opt-out équitable pourrait prévoir le paiement d'une soulte, par laquelle les assujettis actuels s'émanciperaient du régime obligatoire sans pour autant léser leurs concitoyens. Ceci nécessiterait que la dette implicite soit évaluée publiquement, et de façon indépendante. Ce serait un gros avantage en ces temps où la transparence est à la mode!

Réponse de Antoine :

@Gu si Fang et Anonyme sur la clause d'opt-out: La dette implicite du système de retraite est une dette qui porte sur tous les actifs (pour leurs cotisations futures) envers tous les retraités et tous les actifs (pour leurs cotisations passées). Donc effectivement on pourrait théoriquement calculer la dette implicite nette de chaque actif et leur proposer de verser une soulte remboursant cette dette implicite en l'échange de ne pas recevoir de retraites et de ne plus payer de cotisations. Ce serait une façon de laisser le choix individuel entre un système public en répartition et un système privé en capitalisation. C'est conceptuellement intéressant, car cela mettrait en évidence le coût d'une transition vers la capitalisation: par exemple un jeune actif aujourd'hui devrait au début de sa vie active verser une soulte de disons 400'000 EUR (en empruntant cette somme) et récupérer 25% de son salaire brut de cotisations retraite qu'il devrait utiliser pour rembourser son emprunt. La taxation de ses revenus pour financer la partie redistribution du système de retraite devrait être maintenue. Et une fois qu'il aura fini de rembourser sa soulte, il pourra commencer à accumuler pour sa propre retraite... La transition de la répartition à la capitalisation implique une perte de bien-être de la génération qui effectue la transition. Dans les pays qui ont réalisé une telle transition (Chili), l'Etat a emis de la dette (explicite) pour lisser le poids de la dette implicite du système sur plusieurs génération (et cette dette implicite était bcp plus limitée que dans le cas français).

20 novembre 2008

Ca pourrait être pire

De quoi se plaint-on? Il y a 75 ans c'était ça :


19 novembre 2008

Pourquoi le dollar monte-t-il?

Pourquoi le dollar est-il "fort" relativement aux autres monnaies depuis quelques semaines? Cela résulte de variations dans l'offre et la demande de dollars, relativement à l'offre et la demande des autres monnaies. Comme il peut y avoir une multitude de facteurs/causes conjoncturels, au fonds je ne peux pas répondre à la question "pourquoi".

Cela dit, plusieurs mécanismes pourraient engendrer ce phénomène dans la crise actuelle, ceteris paribus. Un point de méthodologie : ceteris paribus signifie "toutes choses égales par ailleurs". On compare les effets d'une cause à ce qu'aurait été la situation sans cette cause. C'est une comparaison théorique. En pratique, il peut y avoir - et il y a - de nombreuses causes qui se superposent. Il est donc impossible de dire avec une certitude absolue que tel événement est la cause de tel effet.

1) Le credit crunch

Il faut distinguer les monnaies. Des dollars en papier ne sont pas exactement la même chose que des réserves à la Fed ou un compte courant. En particulier, la monnaie de banque (bank deposit) n'est pas la même chose que la monnaie de réserve (reserve money ou base money, ou high powered money).

En ce moment, l'offre de monnaie de réserve explose littéralement. La Fed a plus que doublé la taille de son bilan en un an. Mais l'offre de monnaie de banque, c'est différent! Chaque fois qu'un emprunteur rembourse une traite mensuelle sur un emprunt, cela détruit de la monnaie de banque. Si la banque n'accorde pas de nouveaux crédits au même rythme, l'offre de monnaie de banque baisse. On n'en est pas encore là à mon avis, mais le taux de croissance du crédit a ralenti. C'est le début du credit crunch.

C'est donc un raisonnement du type : baisse de l'offre + demande inchangée ==> hausse du cours du dollar (monnaie de banque) (ceteris paribus).

2) La monnaie-refuge

Lorsque plusieurs monnaies sont en compétition les unes avec les autres, elles peuvent cohabiter avec un taux de change sur le marché. Parmi les facteurs qui contribuent à conserver plusieurs monnaies il y a le fait que chaque monnaie a des qualités spécifiques qui plaisent à une partie des consommateurs. Parmi les facteurs qui contribuent à réduire le nombre de monnaies il y a le fait que la monnaie la plus facilement échangeable voit sa demande augmenter, ce qui renforce son échangeabilité, ce qui augmente sa demande etc. (raisonnement de Menger dans Principles of economics). Il se peut que le dollar - qui reste la monnaie la plus facilement échangeable au niveau international - bénéficie de ce phénomène actuellement.

C'est donc un raisonnement du type : offre inchangée + hausse de la demande ==> hausse du cours du dollar (ceteris paribus).


Monnaie de réserve et monnaie de banque ne sont pas les mêmes monnaies, mais il existe une loi qui fixe le cours entre elles. Lorsque le taux de change du marché s'écarte de 1/1 les gens thésaurisent la monnaie sous-évaluée et se débarassent de la monnaie surévaluée. Ici, il est possible que la monnaie de banque vaille un tout petit peu moins que la monnaie de réserve, car la convertibilité de la monnaie de banque en monnaie de réserve ou en billets peut être impossible si une banque fait faillite. Les gens thésaurisent de la monnaie de réserve : c'est ce que font les banques (en ce moment les réserves à la Fed explosent littéralement) mais pas les individus (le nombre de billets en circulation n'a pas tellement augmenté).

C'est donc un raisonnement du type : offre inchangée + fluctuation de la demande (perte de confiance) + price fixing ==> hausse du cours du dollar (ceteris paribus).


Mais 1), 2) et 3) semblent contredire l'idée que la Fed mène actuellement une politique inflationniste, non?

La Fed contrôle la monnaie de réserve, qui est en expansion rapide. Mais elle n'influence qu'indirectement la monnaie de banque qui résulte de décisions privées. La question de savoir si elle usera de son influence pour relancer l'inflation, ou la déflation, ou la stabilité des prix, est une question politique. Ensuite il y a la question de savoir si elle sera capable d'atteindre l'objectif ainsi fixé. Je pense que l'issue la plus probable est l'inflation, parce qu'une déflation signifierait la faillite de très nombreuses banques, l'augmentation du poids de la dette publique, la baisse des recettes fiscales, et donc probablement un défaut souverain des US (si, si... c'est possible pour la couronne islandaisepour la livre et même pour le dollar...).

Mais cette inflation future risque d'être très élevée compte-tenu des dettes et engagements considérables que le gouvernement U.S. est en train de contracter, non? Encore une fois, pourquoi le dollar monte-t-il?

Tant qu'il n'y a pas de monnaie internationale alternative, le dollar ne peut être apprécié qu'en termes relatifs par rapport aux autres monnaies fiduciaires, ou en termes de prix par rapport aux biens et services. Lorsque l'on arrive à une situation d'hyperinflation, les gens réduisent leurs encaisses réelles et reviennent au troc ou trouvent spontanément une autre marchandise comme intermédiaire dans les échanges (or, cigarettes, etc.). L'histoire montre cependant qu'il faut une inflation très importante pour que cela se produise.

17 novembre 2008

La prévision est un art difficile

Elvin écrit :
Je tombe sur ce clip de 2006 en anglais où un gars qui a le tort (?) d'être conseiller de Ron Paul prédit et explique très exactement la crise des subprimes. Revoir ça maintenant est très cruel pour son contradicteur, qui n'est autre que Arthur Laffer. On s'aperçoit maintenant que c'est Schiff qui avait raison, et Laffer qui avait doublement tort, sur le fond et en se permettant de le prendre de haut et de traiter Schiff comme un minus. Comme quoi être un économiste célèbre n'empêche pas de dire des conneries ...
Alexandre Delaigue réagit :
Je reste sceptique sur la démonstration, à plusieurs niveaux. Premièrement, Laffer n'est certainement pas inscrit dans le mainstream mais dans une vision économique "vaudou" dans laquelle baisser les impôts s'autofinance toujours, dans laquelle l'enrichissement d'un pays se mesure par rapport à l'or, et dans lequel la hausse du prix des maisons est un enrichissement net pour la société. N'importe quel économiste mainstream (j'aurai envie de dire : n'importe qui qui sait compter) peut comprendre que c'est un énorme tas de conneries. Dans ces conditions, faire mieux que Laffer n'est pas très difficile - ce qui est le cas ici; cela n'empêche pas Schiff de dire aussi de sacrées conneries sur le fait que les femmes travaillent, sur l'appréhension du déficit extérieur, sur la consommation pas bien et l'investissement bien. 

Autre chose : annoncer qu'un certain jour il va y avoir une récession, n'importe qui peut le faire, moi le premier : à la base, les économistes fluctuent. La version autrichienne explique ces fluctuations beaucoup trop à mon avis par les politiques (ce qui aboutit à oublier que l'ère de l'interventionnisme macroéconomique a été globalement plus stable que l'ère sans l'interventionnisme) et sombre trop souvent dans la "hangover theory" selon laquelle les récessions c'est génial et qu'on ne devrait jamais rien faire contre. 

Et de toute façon, soyons clair : la prévision économique est impossible, précisément ce que n'importe quel autrichien conséquent devrait savoir. Dans ces conditions, dire que machin a fait une meilleure prévision que truc, qui que soient machin et truc, n'a strictement aucun sens. Statistiquement il y aura toujours des gens qui feront de bonnes prévisions. Tenez, moi aussi, j'en fais de bonnes : j'avais annoncé dans libé que Lehman serait la prochaine après Bear, et ce il y a 6 mois. Je peux sélectionner dans les posts du blog et prouver à l'humanité entière que je suis un prévisionniste de génie. 

Sauf que je fais aussi des prévisions fausses, et que c'est normal; et que je ne recommanderai jamais, à personne, de suivre mes prévisions, parce que lui comme moi, comme tout le monde, est incapable de faire la part entre les bonnes et les mauvaises. Au milieu de 2007, j'ai écrit un chapitre entier dans un bouquin pour décrire le système de Bretton Woods 2, le shadow banking system, et la stabilité économique et financière qui en résultait. Je peux me rattraper comme je veux, en disant qu'à l'époque j'exprimais des interrogations, si je suis honnête, je dois dire que je me suis grave planté. 

Et c'est normal : quand on fait des annonces d'avenir, statistiquement, il est impossible d'avoir toujours tort (sinon cela signifierait qu'on est un prévisionniste exceptionnel, par défaut :-) ); et le fait d'avoir raison une fois ne signifie rien.
Gu Si Fang écrit :

Cette vidéo est incroyable. Dans la dernière postée par AD tout le monde conseille d'acheter du Nasdaq et des financières et prédit un rebond de l'immobilier sauf Schiff. J'étais scotché à mon fauteuil! Pourquoi se sont-ils trompés? 

Leur démarche intellectuelle (pour peu qu'ils en aient une, mais c'est au moins le cas de Laffer) n'est pas la même que celle de Schiff. Ils ne posent pas la même question. Ils se demandent : qu'est-ce qui va arriver l'an prochain? alors que Schiff, derrière ses prévisions exactes, est parti d'une question totalement différente : qu'est-ce qui se passe nécessairement lorsque la banque centrale crée de la monnaie? Partant de cette méthode dite "causale réaliste", les autrichiens dont Schiff s'inspire arrivent la conclusion qu'il doit y avoir une bulle, que cette bulle DOIT nécessairement exploser, et ils décrivent les différents scénarios possibles. Mais rien de tout ceci n'est quantitatif. Ils ne peuvent pas prédire ce qui se passera l'an prochain. 

Rien de tout ceci ne transparaît dans la vidéo. Les journalistes veulent des prédictions, et Schiff donne sa prédiction. Mais l'on pourrait lister à l'infini les prédictions exactes des économistes autrichiens (voir ci-dessous), cela ne permettrait pas de savoir si ils ont raison ou non. La seule façon de le faire est de se poser la même question qu'eux, et de voir si la réponse qu'ils apportent peut être contestée. Lire les prédictions des uns et des autres et comparer au cours des événements ne permet PAS de décider qui a raison. 

Comment décider, alors? Comme je l'ai dit, il faut commencer par ingérer la méthodologie autrichienne et son application à la théorie du cycle. Alors seulement, on peut se faire une idée de sa justesse, indépendamment des autres approches. 

J'insiste sur le "indépendamment" qui pourra en étonner certains, car la théorie autrichienne n'est pas aussi contradictoire avec les théories les plus répandues qu'on veut bien le dire. Une grande part de l'économie contemporaine est en accord avec elle : mêmes questions, mêmes réponses. Mais la plupart du temps, il n'y a pas contradiction tout simplement parce qu'ils ne parlent pas tout à fait de la même chose : questions différentes, et donc réponses différentes. Enfin, il y a des cas où l'économie autrichienne, à une même question, apporte une réponse différente du courant dit "mainstream". 

Le minimum syndical me semble être contenu dans ces quatre petits livres : 
Economic Science and the Austrian Method de Hoppe est la première chose à lire (méthodologie) 
What Has Government Done to Our Money? de Rothbard pour la théorie monétaire 
Austrian theory of the trade cycle and other essays avec des articles de Mises, Haberler, Hayek, Rothbard et Garrison sur l'ABCT 
Deflation and Liberty de Hülsmann, dont le chapitre VII décrit les scénarios possibles pour la suite... 

Des compléments utiles : 
The Philosophical Origins of Austrian Economics de Gordon, à ne pas négliger 
The Ethics of Money Production de Hülsmann pour voir un exposé sur la monnaie plus académique que Rothbard 

Liste indicative des "prédictions" du Mises Institute entre 2003 et 2006 : 
Housing Bubble: Myth or Reality? by Frank Shostak on 3/4/2003 
Mr Bailout by Antony Mueller on 9/30/2004 
America's Unsustainable Boom by Stefan Karlsson on 11/8/2004 
Sowing the Seeds of the Next Crisis by Thorsten Polleit on 4/25/2006


15 novembre 2008

Et Frederic Lordon sauva le monde...

Bonjour, 

Que pensez-vous de la reflexion de Frederic Lordon sur la crise, ainsi qu'exposee dans "Jusqu'à quand? Pour en finir avec les crises financières 
Raisons d'agir - novembre 2008", ici ou la

En gros et de ce que j'ai compris rapidement, re-solvabilisation des menages americains en defaut de paiement des credits hypothecaires plutot que des banques qui font ensuite les difficiles pour redonner du credit, arret de la tritrisation, nationalisation du secteur bancaire, creation d'une zone de controle des capitaux en Europe, double taux d'interet, l'un pour la speculation l'autre pour le financement des activites productives, marges plafonnees pour les actionnaires et banques. Il avance notamment que la financiarisation et la deregulation n'ont rien apporte a la croissance mondiale. Peut-on verifier quelque part si la deregulation fut benefique? 

Il est toujours interessant de considerer les opinions d'economistes atypiques, ne serait-ce que pour les refuter. Olivier Pastre etait d'accord avec lui la plupart du temps sur l'emission de France Culture, sommes-nous a un tournant?
Voici ce que j'ai retenu de son passage sur France Culture.

1) Sur le diagnostic :
- un effet de levier déraisonnable
- des incitations perverses dans les rémunérations
- les mêmes mécanismes de capitaux libéralisés apparaissent dans toutes les crises
- la contribution de la finance déreglementée à la croissance des PVD est marginale
- déficits budgétaire et commercial abyssaux aux US
- les US profitent de leur monnaie de réserve internationale dominante (contra Krugman)
- ce sont toujours les mêmes qui paient les pots cassés pour Wall Street
- laisser tomber Lehman était une erreur, mais c'est anecdotique
- les Etats et banques centrales sont otages face au chantage du risque systémique
- l'autorégulation des marchés financiers est une baliverne

2) Sur les causes de la crise :
- j'ai écouté attentivement ce que dit Lordon sans trouver quelque chose qui s'apparente à une cause à proprement parler

3) Les solutions proposées :
- l'objectif stratégique doit être d'empêcher que les bulles se reforment
- la réglementation n'est pas la solution
- changer le mode de rémunération des traders
- "délevieriser"
- envisager la nationalisation, notamment des opérateurs du crédit et de la finance
- carrément interdire la titrisation
- revenir à un financement intermédié des entreprises par les banques
- dédoubler les taux d'intérêt afin que la politique monétaire puisse baisser les taux pour l'économie réelle sans les baisser pour l'économie financière (ce qui encourager le leverage)

4) Les "grands auteurs" qu'il cite : Keynes, Minsky, Kindleberger, Marx

5) Sa "définition" du néolibéralisme : la libéralisation financières, la libéralisation concurrentielle de tous les marchés, une certaine politique monétaire et le pacte de stabilité.

Puisque vous demandez ce qu'il faut en penser : pas grand-chose. Il est excellent connaisseur du sujet, mais son raisonnement est celui d'un journaliste. Autrement dit : costaud sur les observations empiriques, faible sur la logique.

Où est l'erreur de raisonnement? Il y en a deux :

- D'une part, il observe que les financiers agissent librement (dans le cadre du plan) ET qu'il y a une crise. Comme un journaliste médiocre, il semble en déduire que la liberté des acteurs financiers engendre nécessairement des crises. Post hoc ergo propter hoc...

- D'autre part, il suggère de restreindre la liberté d'action des financiers afin de supprimer les crises. Sophisme de la négation de l'antécédent...

Enfin, il y a une observation empirique qu'il ne semble pas voir : la monnaie est un monopole public géré selon un modèle de planification centralisée avec des acteurs privés qui agissent dans le cadre du plan. Il ne s'interroge pas sur les conséquences éventuellement néfastes de la planification centralisée de la monnaie. Par conséquent, puisque le plan échoue, sa réponse consiste essentiellement à proposer un "meilleur" plan.

C'est une démarche vouée à l'échec.

12 novembre 2008

A savourer

Steve Randy Waldman rend hommage en passant à Milton Friedman :
Yves Smith has done a beautiful job of describing the ridiculous awfulness of today's "restructuring" [NB: bailout de l'assureur AIG qui s'est baffré d'argent public]. More importantly, she uses words with the appropriate intensity and valence: "banana republic", "looting", "Mussolini-Style Corporatism".

For so many years, Milton Friedman passionately argued that there is a relationship between economics and political life. In particular, he believed capitalism to be uniquely compatible with a free society.

Comparaison entre le Loto et la spéculation à crédit

J'appelle ici spéculation à crédit le fait de réaliser des placements avec un fort effet de levier, c'est-à-dire en faisant appel au crédit pour acheter des titres. Comme le Loto, il s'agit d'une activité très risquée : on peut facilement perdre la totalité de sa mise. D'un autre côté, on peut gagner un gros multiple de sa mise, ce qui rend ces activités attractives.

Le Loto est taxé à hauteur de 50%, puisque c'est la part des mises qui est redistribuée aux joueurs par la Française des Jeux. La finance est soumise à l'impôt sur le revenu, sur les bénéfices, sur la plus-value, etc. dont le total est également proche de 50% en France. Seulement, on peut considérer que la finance est subventionnée tout au long des cycles économiques : par l'inflation lors des phases de boom, par les plans de sauvetage lors des busts. Le Loto ne bénéficie pas de telles subventions.

Conclusion : le jeu d'argent du "petit peuple" est plus taxé que le jeu d'argent du cadre diplômé qui travaille dans la finance. Je laisse à chacun le soin de tirer la morale de cette histoire.

11 novembre 2008

Depressions Cause a lot More Pain than Benefits-Becker

Some older theories of business cycles-usually associated with the "Austrian" school of economics- claimed that recessions and depressions were useful in helping to remove the poison from an economy that builds up during good times. For example, weaker companies are the first to go when the demand for an industry's product falls during recessions. Employees who are allowed a lot of slack during good times are forced to work harder during recessions in order to keep their jobs.

Pr Becker,

Thanks for mentioning the ABCT. It is better to see this theory discussed than absent of the mainstream discussion. However, it is ofter misunderstood and misrepresented. Several points should be clarified :
- the most frequent confusion concerns overinvestment vs malinvestments, as in Krugman's "hangover thoery"
- the recession is unavoidable - rather than "good" or "useful" - because the long-term projects that have been started during the boom cannot physically be completed under current consumption trends
- the bust is the moment when most people realize that their expectations cannot and will not be met, and therefore revize their expectations
- the recession is the phase during which the allocation of ressources adjusts to these new expectations
- the depression - which is NOT part of the ABCT - is what happens as a secondary phenomenon when measures such as wage and price controls, public works, bailouts, etc. are enacted

The overinvestment vs malinvestment confusion can be clarified by reading these essays.

That the recession is unavoidable is the crux of the matter, and not obvious at first. Mises provides a parable with house builders to illustrate this idea. It is presented in a simple fashion here.

The one good thing about the bust is that people start having realistic expectations. It is useful in that it allows them to start projects which are moke likely to be successful. Had their expectations remained unsustainable due to the monetary distorsion of relative prices and interest rate, they were likely to fail en masse.

The recession is also "good" unless one considers that production should not meet consumer preferences. This would be the case if no adjustments took place in the allocation of labor and investments. These adjustments have no reason to take much time. But if a major recession is defined as an extended period with more than 9% unemployment, this is an entirely different issue. Any definition is acceptable as long as we know which one is being used.

07 novembre 2008

L'Euro et les autres monnaies européennes

Source : forum Général d'éconoclaste
Je souhaite lancer ce topic pour parler des monnaies européennes, à l'heure où soudain, 72% des islandais semblent vouloir intégrer l'Eurozone, pour se débarrasser de leur couronne dévaluée. Il semble que les autres pays Européens qui n'ont pas l'Euro, pays baltes, nordiques, et pays de l'Est semblent reconnaitre l'intérêt de l'Euro à l'heure où ils voient leur monnaie attaquée et perdre sa valeur.

Cela vous parait-il une bonne raison d'intégrer l'Eurozone ?
Si l'Islande avait fait partie de l'Eurozone avant la crise, cela aurait-il pu atténuer un peu ses effets ?
Réponse d'éconoclaste-Alexandre
L'argument pour entrer dans l'euro tourne toujours autour de la même idée.

Inconvénient : perte de possibilité de politiques discrétionnaires, de passer par une dévaluation pour contrer un choc asymétrique.

Avantage : réduction de la prime de risque de change, donc capacité d'emprunt à taux réduit; réduction des coûts de transaction pour les échanges internationaux.

Mon argument vis à vis des critiques du passage à l'euro qui s'inquiétaient de la perte de souveraineté et de la capacité à mener des politiques économiques autonomes était le suivant : ce n'est pas parce qu'on a la possibilité de mener une politique meilleure qu'on va le faire. Parfois, perdre son autonomie est une façon d'éviter de faire des conneries. Si on est certain d'avoir la capacité de mener les bonnes politiques tout seul, alors l'argument des inconvénients a du poids; sinon, c'est le second qui l'emporte. Ce que montre l'exemple Islandais, c'est que pouvoir faire des choses tout seul dans son coin, parfois, ça conduit à faire de grosses, grosses conneries.
La "monnaie unique" américaine ne permet pas à chacun des états d'avoir une politique monétaire discrétionnaire. Pourquoi n'est-ce pas un problème aux US si ça l'est en Europe?

Le pilotage centralisé des banques centrales européennes est une bonne chose à condition que les décisions de la BCE soient bonnes. On peut au moins se féliciter qu'elle ait un mandat unique de stabilité des prix plutôt qu'un mandat double de type Fed. Mais pour peu que son mandat soit modifié ou qu'on utilise la crise comme prétexte pour justifier des écarts... L'argument "ce n'est pas parce qu'on a la possibilité de mener une politique meilleure qu'on va le faire" vaut aussi pour la BCE.

Réponse de ajanim
Effectivement la zone monétaire optimale montre que soit il y a mobilité de la main d'oeuvre soit il y a ajustement par les prix et les salaires. La seule distinction entre Etats-Unis et Europe que je peux proposer: [peripolis.blogspot.com], en fin d'article
Merci pour ces explications. C'est la zone monétaire optimale de Mundell, c'est ça? Mais il y a aussi le fait que la monnaie en circulation se déplace là où elle est la plus demandée, c'est-à-dire là où son prix est le plus elevé, c'est-à-dire là où le niveau général des prix est le plus faible. Ces déplacements de monnaie font monter/baisser les prix locaux jusqu'à ce que la demande et l'offre locales de monnaie soient en équilibre. La libre circulation de la monnaie devrait réaliser l'ajustement entre l'offre et la demande locales de monnaie. Pourtant, on entend parfois cette critique de l'euro qui consiste à dire qu'il ne permet qu'une politique monétaire "taille unique" inadaptée aux besoins de chaque pays. Ca n'est pas clair...



My Exchange with Caplan

Source : Mises Economics Blog
The present debate got started when I read that Caplan had characterized Rothbard’s position on fractional reserve banking (frb) as "crazy." Further adding insult to injury, he denotes this position as too easy of a target to hit out against. Now, I suppose, I think of Milton Friedman roughly in the way that Caplan regards Rothbard. Yet, I never characterized Friedman’s views as "crazy" nor as a "too easy" target. That really got in my craw, and led me to write to Caplan.
It seems that your position is to assume that the bank's customer wants a 100% warehousing service (bailment contract), in which case you are right to say that FRB is fraudulent. But what if some customers agree to have a fractional reserve account? [I don't know the English word for this, would it be called a lease contract?]

On the other hand, B.Caplan would probably admit that, under a free market, the bank and its customer would be free to try any contract they please, be it 100% or FRB, so long as the customer is informed and voluntarily accepts the contract.

What happens then if bank A offers 100% accounts, and bank B offers fractional accounts? Their respective receipts will circulate as competitive currencies, both redeemable, yet not exactly alike. Consumers will be the only judges of the qualities of both currencies. My guess is that A's receipts will be more marketable and would soon outcompete B's receipts, but this can only be determined by letting the free market operate, not by argumentative reasoning.

Réponse de Block
You make some important points. In my view, even if both parties agree to a frb, it is still illicit. Property rights underlie contract.



The Rhetoric of the Financial Crisis

Source : Rationalité Limitée
Depuis quelques temps, une question me revient constamment à l’esprit : quelles seront les conséquences de la crise financière sur la théorie économique et son évolution. Je pense que l’on peut maintenant dire sans exagérer que la crise de 2008 est la plus importante que l’économie mondiale ait connue depuis la “Grande dépression” des années 1930. Concernant cette dernière, le sens commun et la vulgate scientifique voient en elle le triomphe des idées keynésiennes, théoriques comme normatives. Que dira-t-on dans 5, 10, 20 ou 50 ans de la crise de 2008 ?
[...] La situation est très intéressante sur un plan épistémologique parce qu’elle est typique de la difficulté à laquelle les sciences sociales sont confrontées : le fait qu’un évènement historique ne se répète jamais deux fois à l’identique et que par conséquent les propositions théoriques à propos de cet évènement sont en pratique infalsifiables.
[...] Cela ne va pas empêcher l’émergence progressive d’un consensus scientifique qui fait que, dans quelques dizaines d’années, on dira que cette crise a été dû à X ou Y ou qu’elle a donné raison à la théorie Z. Mais ce consensus aura émergé non pas tant pour sa validité scientifique, puisque elle est quasiment impossible à établir, mais par la force rhétorique de ceux qui s’en seront fait les porteurs.

C’est tout à fait le genre de prise de recul dont on a besoin en ce moment, merci!

“Qu’est ce qui me permet (moi ou d’autres) de dire que la crise est d’abord liée [à telle ou telle théorie]? La réponse est : RIEN.”

Oui. Au fonds c’est une conséquence de l’idée que l’économie n’est pas une science empirique. C’est une proposition assez iconoclaste de nos jours.

“Cela ne va pas empêcher l’émergence progressive d’un consensus scientifique.”

C’est probable. De plus, ce consensus est susceptible d’évoluer plus tard, tout comme le livre de Schwartz et Friedman en 1963 a créé un nouveau consensus sur la Grande Dépression.

“ce consensus aura émergé non pas tant pour sa validité scientifique, puisque elle est quasiment impossible à établir [...]”

Ce “quasiment” me laisse songeur. Pourriez-vous élaborer?

Un exemple peut alimenter la réflexion : dans une intervention récente, G.Selgin déclarait “Si l’on essaie d’expliquer la crise actuelle par l’avidité des banquiers, c’est un peu comme si l’on essayait d’expliquer le crash d’un avion par la gravité. C’est vrai mais ça ne nous avance pas beaucoup.”

Réponse de C.H.

@GSF :
Le terme “quasiment” souligne qu’en *théorie* il y a une ou plusieurs explications plus pertinentes que d’autres et que, donc, en principe, il est possible de démêler le vrai du faux. Le problème c’est qu’en pratique, puisqu’il est impossible de mener des tests visant à réfuter les différentes explications concernant la crise financière, on est condamné à rester dans le spéculatif. Progressivement, on va réunir un faisceau de preuves qui tendra à corroborer telle ou telle explication mais l’interprétation même de ces preuves sera en partie fonction de nos préférences théoriques. Cela dit, je ne dis rien de nouveau, des philosophes comme Quine ont depuis longtemps souligné ce problème.

OK je comprends. S’il s’agit d’expliquer la crise on ne peut jamais démêler complètement les différents “facteurs” (même si l’économétrie a un certain mérite ;-)).

Je pensais plutôt à la méthode “obsolète” qui a la faveur des autrichiens - le raisonnement abstrait et l’analyse contrafactuelle. Elle permet bien d’établir la vérité de théories qui ont la forme suivante : “si A alors B (ceteris paribus)”.

C’est une méthode abstraite parce que les prémisses A ne sont pas découverts de façon empirique, et parce que le raisonnement qui va de A à B est purement logique et n’apporte rien qui ne soit déjà dans A. Elle est contrefactuelle, parce qu’elle conduit à des propositions du type : “si je fais ceci, alors ce prix sera plus élevé qu’il n’aurait été autrement”. On compare le cours des événements entre deux histoires fictives.

Une première limite de cette méthode est que tout repose sur la validité des prémisses. Je ne pense pas qu’il soit question de rhétorique ici.

En revanche, il y a deux autres aspects où la rhétorique joue un rôle :

- En pratique, aucun économiste autrichien ne travaille exactement ainsi (par exemple pour l’ABCT). Pourtant, il “raconte” sa théorie “comme si”.

- L’analyse contrefactuelle est intellectuellement intéressante, mais est-elle utile en pratique? Une entreprise a souvent besoin de prévisions, et pas seulement de faire des choix entre deux alternatives. De plus, les économistes autrichiens cèdent parfois à la tentation de dire “voilà LA cause de la crise” alors que leur méthodologie l’interdit.


@ Econoclaste-Alexandre (ou d'autres, hein...)

Source : forum Général d'éconoclaste
ca fait plusieurs fois que je vous lis que l'une des raisons (sinon la principale) de la crise actuelle était que les banques avaient gardé dans leur bilan les produits toxiques au lieu de les "disperser".

Pourriez-vous m'indiquer ou vous avez lu ca?

@ Jacques

Il y a un truc simple qui n'a pas encore été dit : dans certains cas, les banques vendaient les prêts titrisés à d'autres investisseurs (typiquement des banques d'investissement) en leur prêtant l'argent nécessaire. Dans son bilan, au lieu d'avoir une créance sur des milliers de ménages, la banque se retrouvait alors avec une créance sur Lehman qui avait une créance sur des milliers de ménages.

Qui portait le risque? Tout dépend des fonds propres de Lehman. Si Lehman avait eu 60% de fonds propres, elle aurait perdu SON argent avant de perdre celui de la banque. Mais comme Lehman n'avait que 2% de fonds propres, elle a très vite commencé à perdre l'argent de la banque. Lehman ne pouvait perdre "que" ses 2% à la baisse, mais pouvait en gagner un multiple à la hausse. Je simplifie car le montage est plus compliqué, mais pas tellement.

Ca s'appelle spéculer avec l'argent des autres. Est-ce que ça permet de s'enrichir sans travailler? Normalement, non, car le supplément de rendement est compensé par un supplément de risque. En période d'expansion monétaire, oui (du moins jusqu'à ce que la bulle éclate).

C'est parce que l'on a connu une période exceptionnelle d'expansion monétaire que cette pratique est devenue si répandue. La bulle de crédit alimentait ces opérations, et la bulle immobilière escamotait le risque. Tout le monde avait donc l'impression de s'enrichir sans travailler. Les vieux routiers savaient que ça ne durerait pas, mais ils avaient intérêt à participer plutôt que de laisser filer le pactole. Mon point de vue, c'est que ces comportements n'auraient PAS eu lieu sans expansion monétaire, mais il n'y a pas consensus à ce sujet sur éconoclaste ;-)

L'ânerie du jour

Dans le 12-15 de BFM, Hedwige Chevrillon recevait le 7 novembre Hervé Morin (l'émission devrait bientôt être accessible en podcast ici). Soucieux de préserver son budget, le Ministre de la Défense a utilisé un argument bien éculé : la défense ce n'est pas seulement l'activité militaire, c'est aussi une industrie, des emplois, de l'activité économique, etc.

C'est l'occasion de relire ce pamphlet intitulé Le licenciement, extrait de Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, de Frédéric Bastiat (1850) :

Le Licenciement

Il en est d'un peuple comme d'un homme. Quand il veut se donner une satisfaction, c'est à lui de voir si elle vaut ce qu'elle coûte. Pour une nation, la Sécurité est le plus grand des biens. Si, pour l'acquérir, il faut mettre sur pied cent mille hommes et dépenser cent millions, je n'ai rien à dire. C'est une jouissance achetée au prix d'un sacrifice.

Qu'on ne se méprenne donc pas sur la portée de ma thèse.

Un représentant propose de licencier cent mille hommes pour soulager les contribuables de cent millions.

Si on se borne à lui répondre: « Ces cent mille hommes et cent millions sont indispensables à la sécurité nationale: c'est un sacrifice; mais, sans ce sacrifice, la France serait déchirée par les factions ou envahie par l'étranger. » - Je n'ai rien à opposer ici à cet argument, qui peut être vrai ou faux ou en fait, mais qui ne renferme pas théoriquement d'hérésie économique. L'hérésie commence quand on veut représenter le sacrifice lui-même comme un avantage, parce qu'il profite à quelqu'un.

Or, je suis bien trompé, ou l'auteur de la proposition ne sera pas plus tôt descendu de la tribune qu'un orateur s'y précipitera pour dire:

« Licencier cent mille hommes ! y pensez-vous ? Que vont-ils devenir ? de quoi vivront-ils ? sera-ce de travail ? mais ne savez-vous pas que le travail manque partout ? que toutes les carrières sont encombrées ? Voulez-vous les jeter sur la place pour y augmenter la concurrence et peser sur le taux des salaires ? Au moment où il est si difficile de gagner sa pauvre vie, n'est-il pas heureux que l'Etat donne du pain à cent mille individus ? Considérez, de plus, que l'armée consomme du vin, des vêtements, des armes, qu'elle répand ainsi l'activité dans les fabriques, dans les villes de garnison, et qu'elle est, en définitive, la Providence de ses innombrables fournisseurs. Ne frémissez-vous pas à l'idée d'anéantir cet immense mouvement industriel ? »

Ce discours, on le voit, conclut au maintien des cent mille soldats, abstraction faite des nécessités du service, et par des considérations économiques. Ce sont ces considérations seules que j'ai à réfuter.

Cent mille hommes, coûtant aux contribuables cent millions, vivent et font vivre leurs fournisseurs autant que cent millions peuvent s'étendre: c'est ce qu'on voit.

Mais cent millions, sortis de la poche des contribuables, cessent de faire vivre ces contribuables et leurs fournisseurs, autant que cent millions peuvent s'étendre: c'est ce qu'on ne voit pas. Calculez, chiffrez, et dites-moi où est le profit pour la masse ?

Quant à moi, je vous dirai où est la perte, et, pour simplifier, au lieu de parler de cent mille hommes et de cent millions, raisonnons sur un homme et mille francs.

Nous voici dans le village de A. Les recruteurs font la tournée et y enlèvent un homme. Les percepteurs font leur tournée aussi et y enlèvent mille francs. L'homme et la somme sont transportés à Metz, l'une destinée à faire vivre l'autre, pendant un an, sans rien faire. Si vous ne regardez que Metz, oh ! vous avez cent fois raison, la mesure est très avantageuse; mais si vos yeux se portent sur le village de A, vous jugerez autrement, car, à moins d'être aveugle, vous verrez que ce village a perdu un travailleur et les mille francs qui rémunéraient son travail, et l'activité que, par la dépense de ces mille francs, il répandait autour de lui.

Au premier coup d'oeil, il semble qu'il y ait compensation. Le phénomène qui se passait au village se passe à Metz, et voilà tout.

Mais voici où est la perte. Au village, un homme bêchait et labourait: c'était un travailleur; à Metz, il fait des tête droite et des tête gauche: c'est un soldat. L'argent et la circulation sont les mêmes dans les deux cas; mais, dans l'un, il y avait trois cents journées de travail productif; dans l'autre, il a trois cents journées de travail improductif, toujours dans la supposition qu'une partie de l'armée n'est pas indispensable à la sécurité publique.

Maintenant, vienne le licenciement. Vous me signalez un surcroît de cent mille travailleurs, la concurrence stimulée et la pression qu'elle exerce sur le taux des salaires. C'est ce vous voyez.

Mais voici ce que vous ne voyez pas. Vous ne voyez pas que renvoyer cent mille soldats, ce n'est pas anéantir cent millions, c'est les remettre aux contribuables. Vous ne voyez pas que jeter ainsi cent mille travailleurs sur le marché, c'est y jeter, du même coup, les cent millions destinés à payer leur travail; que, par conséquent, la même mesure qui l'offre des bras en augmente aussi la demande; d'où il suit que votre baisse des salaires est illusoire. Vous ne voyez pas qu'avant, comme après le licenciement, il y a dans le pays cent millions correspondant à cent mille hommes; que toute la différence consiste en ceci: avant, le pays livre les cent millions aux cent mille hommes pour ne rien faire; après, il les leur livre pour travailler. Vous ne voyez pas, enfin, que lorsqu'un contribuable donne son argent, soit à un soldat en échange de rien, soit à un travailleur en échange de quelque chose, toutes le conséquences ultérieures de la circulation de cet argent sont les mêmes dans les deux cas; seulement, dans le second cas, le contribuable reçoit quelque chose, dans le premier, il ne reçoit rien. - Résultat: une perte sèche pour la nation.

Le sophisme que je combats ici ne résiste pas à l'épreuve de la progression, qui est la pierre de touche des principes. Si, tout compensé, tous intérêts examinés, il y a profit national à augmenter l'armée, pourquoi ne pas enrôler sous les drapeaux toute la population virile du pays ?