15 novembre 2008

Et Frederic Lordon sauva le monde...

Bonjour, 

Que pensez-vous de la reflexion de Frederic Lordon sur la crise, ainsi qu'exposee dans "Jusqu'à quand? Pour en finir avec les crises financières 
Raisons d'agir - novembre 2008", ici ou la

En gros et de ce que j'ai compris rapidement, re-solvabilisation des menages americains en defaut de paiement des credits hypothecaires plutot que des banques qui font ensuite les difficiles pour redonner du credit, arret de la tritrisation, nationalisation du secteur bancaire, creation d'une zone de controle des capitaux en Europe, double taux d'interet, l'un pour la speculation l'autre pour le financement des activites productives, marges plafonnees pour les actionnaires et banques. Il avance notamment que la financiarisation et la deregulation n'ont rien apporte a la croissance mondiale. Peut-on verifier quelque part si la deregulation fut benefique? 

Il est toujours interessant de considerer les opinions d'economistes atypiques, ne serait-ce que pour les refuter. Olivier Pastre etait d'accord avec lui la plupart du temps sur l'emission de France Culture, sommes-nous a un tournant?
Voici ce que j'ai retenu de son passage sur France Culture.

1) Sur le diagnostic :
- un effet de levier déraisonnable
- des incitations perverses dans les rémunérations
- les mêmes mécanismes de capitaux libéralisés apparaissent dans toutes les crises
- la contribution de la finance déreglementée à la croissance des PVD est marginale
- déficits budgétaire et commercial abyssaux aux US
- les US profitent de leur monnaie de réserve internationale dominante (contra Krugman)
- ce sont toujours les mêmes qui paient les pots cassés pour Wall Street
- laisser tomber Lehman était une erreur, mais c'est anecdotique
- les Etats et banques centrales sont otages face au chantage du risque systémique
- l'autorégulation des marchés financiers est une baliverne

2) Sur les causes de la crise :
- j'ai écouté attentivement ce que dit Lordon sans trouver quelque chose qui s'apparente à une cause à proprement parler

3) Les solutions proposées :
- l'objectif stratégique doit être d'empêcher que les bulles se reforment
- la réglementation n'est pas la solution
- changer le mode de rémunération des traders
- "délevieriser"
- envisager la nationalisation, notamment des opérateurs du crédit et de la finance
- carrément interdire la titrisation
- revenir à un financement intermédié des entreprises par les banques
- dédoubler les taux d'intérêt afin que la politique monétaire puisse baisser les taux pour l'économie réelle sans les baisser pour l'économie financière (ce qui encourager le leverage)

4) Les "grands auteurs" qu'il cite : Keynes, Minsky, Kindleberger, Marx

5) Sa "définition" du néolibéralisme : la libéralisation financières, la libéralisation concurrentielle de tous les marchés, une certaine politique monétaire et le pacte de stabilité.

Puisque vous demandez ce qu'il faut en penser : pas grand-chose. Il est excellent connaisseur du sujet, mais son raisonnement est celui d'un journaliste. Autrement dit : costaud sur les observations empiriques, faible sur la logique.

Où est l'erreur de raisonnement? Il y en a deux :

- D'une part, il observe que les financiers agissent librement (dans le cadre du plan) ET qu'il y a une crise. Comme un journaliste médiocre, il semble en déduire que la liberté des acteurs financiers engendre nécessairement des crises. Post hoc ergo propter hoc...

- D'autre part, il suggère de restreindre la liberté d'action des financiers afin de supprimer les crises. Sophisme de la négation de l'antécédent...

Enfin, il y a une observation empirique qu'il ne semble pas voir : la monnaie est un monopole public géré selon un modèle de planification centralisée avec des acteurs privés qui agissent dans le cadre du plan. Il ne s'interroge pas sur les conséquences éventuellement néfastes de la planification centralisée de la monnaie. Par conséquent, puisque le plan échoue, sa réponse consiste essentiellement à proposer un "meilleur" plan.

C'est une démarche vouée à l'échec.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

F. Lordon aurait "un comportement de journaliste" ?!
Ben voyons ! Belle conclusion qui résume bien votre horizon de pensée : càd la pointe de vos pieds ! C'est l'hôpital qui se fout de la charité !
Car si votre analyse repose sur la simple émission de France Culture, c'est vous qui semblez vous comporter comme un journaliste !
Car pour pouvoir évaluer et juger de la pensée de F. Lordon, je vous conseille d'étudier au moins certains de ces écrits ! Ils sont nombreux et vous en trouverez dans un grand nombre de revues scientifiques !
Mais attention, certains textes nécessitent un vrai effort intellectuel !
En serez capable ?
Salutations
Bruno D.

Gu Si Fang a dit…

Primo, ce n'est pas "comportement" mais "raisonnement".

Secundo, j'ai lu son "Jusqu'à quand la crise?" après l'avoir entendu à la radio, ce qui a confirmé ma première impression.

et Tertio : oui, je connais la "pensée" qui, de Keynes à Minsky, en passant par Kindleberger, Orléan etc., veut que la spécularité soit la cause d'une instabilité intrinsèque des marchés financiers.

Pour revenir à F.Lordon, sa description des faits pour la crise actuelle est exacte; et j'ai retrouvé dans le livre la même critique vindicative que sur FC.

Les faits sont les faits, et ses opinions lui appartiennent. Ce n'est pas à ce niveau que je suis critique, mais sur son raisonnement, ou plutôt absence de raisonnement.

Car Lordon déplore l'augmentation du levier, la baisse des fonds propres, la prise de risque inconsidérée, la baisse de la vigilance, l'hypertrophie du secteur financier, les rémunérations qui créent des incitations perverses, etc.

Mais il n'a pas l'air de voir qu'il y a une cause qui, mécaniquement, contribue à tout cela à divers degrés. Cette cause n'a rien à voir avec le marché, et c'est peut-être pour cela Lordon n'en parle pas; je ne sais pas.

Cette cause, c'est le papier-monnaie. Pour être précis : 1) le monopole de la monnaie, 2) les réserves fractionnaires, et 3) le prêteur en dernier ressort. Ces trois piliers sont contraires, respectivement, 1) à la libre entreprise, 2) à la propriété et 3) à la responsabilité.

On est donc face à des lois qui sont la négation des principes du marché, et qui ont pour conséquence logique des bulles, des krachs, et des crises, avec en prime les symptômes décrits ci-dessus.

Ceci n'est qu'une affirmation, et ici je ne démontre rien : pour l'explication économique du lien entre les deux je vous renvoie à la lecture de "Etat, qu'as-tu fait de notre monnaie?"

C'est pourquoi je trouve le raisonnement journalistique de Lordon assez court. Accuser la cupidité des banquiers, certes; mais ne pas voir l'éléphant au milieu de la salle à manger...

Mais on ne peut pas se faire un opinion sur un seul livre. Alors je vous fais la proposition suivante :

Si F.Lordon a écrit au sujet de la monnaie; s'il pense que le monopole de l'émission, les réserves fractionnaires, le cours légal, le cours forcé, le prêteur en dernier ressort, etc. sont utiles, justifiés, légitimes, je vais certainement "étudier ses écrits" : vous avez les références?

louispe a dit…

pour les écrits de frederic Lordon ce sont chronogiquement ceux-ci :
# Les Quadratures de la politique économique, Paris, Albin Michel, 1997
# Fonds de pension, piège à cons. Mirage de la démocratie actionnariale, Paris, Liber / Raisons d'agir, 2000
# La Politique du capital, Paris, Odile Jacob, 2002
# Et la vertu sauvera le monde, Paris, Liber / Raisons d'agir, 2003
# L'intérêt souverain : Essai d'anthropologie économique spinoziste, Paris, La Découverte, 2006
# Spinoza et les sciences sociales. De l'économie des affects à la puissance de la multitude, en collaboration avec Yves Citton, Paris, Éditions Amsterdam, 2008
# Jusqu'à quand ? Pour en finir avec les crises financières, Paris, Editions Raisons d’agir, 2008
# Conflits et pouvoirs dans les institutions du capitalisme, Presses de la Fondation des Sciences Politiques, Paris, coll. Gouvernances, dir., 339 p. , 2008
# La crise de trop - Reconstruction d'un monde failli, Paris, Editions Fayard, 2009.
# Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, La fabrique éditions, 2010
mais il y a aussi les articles du monde diplo et ceux de son blog.
Enfin en ce qui concerne la logique de cet économiste je la trouve exemplaire d'honnêteté et de qualité par rapport à un certain nombre d'économistes officiels (Minc, les Cohen pas freres, Fitoussi,Baverez), et si le débat économique n'était pas monopolisé
par des contempteurs à la petite vertu du système actuel on n'en serait pas au point où lorsque des armées de spéculateurs occasionnent des dégats considérables sur le reste de l'économie (réelle),on traite ces problèmes comme des accidents ou des "crises" au lieu de les voir comme le résultat d' un très grand laxisme permis par le pouvoir politque.