30 octobre 2008

Nothing is under control

En ces temps de crise économique et financière, il est de bon ton de pointer du doigt la “caste” des financiers et des banquiers, désignée responsable de la pagaille actuelle. Comme le montre le succès d’une certaine vidéo sur la création monétaire sur internet, certains fantasmes ce sont même réveillés (s’étaient-ils déjà endormis ?) : la finance contrôle le monde, l’économie réelle lui est subordonnée. Bref, c’est le retour du biais conspirationniste. La crise serait le fait de quelques acteurs, considérés, au choix, soit comme irresponsables, stupides ou cupides mais qui en tout état de cause ont trop de pouvoir. En fait, la crise est plutôt la conséquence du phénomène exactement inverse : l’incapacité totale des principaux acteurs financiers (les grands dirigeants, les actionnaires) à contrôler les actions des personnes qu’ils sont censés surveiller ou diriger.

La crise n’est pas liée au fait que le pouvoir est entre les mains des mauvaises personnes (les financiers, les grandes entreprises, les banques, Alan Greenspan, etc.) mais plutôt à une défaillance totale au niveau des relations principal-agent.

Une remarque sur la prétendue faillite de la relation principal-agent. C’est la thèse défendue par Chris Dillow ici et .

Il y a un point commun entre un ménage surendetté et une banque. Une banque qui a très peu de fonds propres, et un ménage qui achète une maison sans apport personnel, ce sont des modes de financement similaires : très peu de capitaux propres et beaucoup d’endettement; en d’autres terme : un effet de levier important. Ceci est caractéristique de ce qu’on appelle une économie de dette.

L’explication de Chris Dillow consiste à dire que les banques sont mal gérées parce que leurs petits actionnaires morcelés les contrôlent mal. Ce serait un problème de gouvernance, un problème d’agence. Pour lui, l’agent (le management des banques) a pris des risques inconsidérés avec l’argent de ses actionnaires (sous-entendu : sans leur consentement).

Mais dans une économie de dette, la création monétaire incite tous les acteurs de l’économie à utiliser l’effet de levier chaque fois qu’ils le peuvent. La redistribution permanente des créanciers vers les emprunteurs fait que l’on a intérêt à être emprunteur. L’actionnaire est donc incité à prendre plus de risque; le ménage aussi. Ils sont partiellement déresponsabilisés, puisqu’en cas de succès ils “gagnent” un multiple de leur mise, alors qu’en cas d’échec ils ne perdent pas plus que leur mise. C’est exactement ainsi que le management des banques a agi, et il n’a pas trahi les intérêts de ses actionnaires.

Chris Dillow n’a pas tort quand il dit qu’il y a un problème de gouvernance et de propriété. Mais ce n’est pas la CAUSE des dérapages bancaires, puisqu’à mon avis les intérêts des actionnaires et du management étaient relativement bien alignés. Le mode de propriété actuel (fort levier) et la prise de risque excessive sont plutôt deux SYMPTOMES d’un même phénomène : la forte croissance monétaire qui a engendré une “économie de dette”.

Un autre symptôme de l’économie de dette est que l’on doit consacrer plus de temps à gérer son patrimoine et anticiper l’inflation, et moins de temps à des activités productives. Si on ne le fait pas soi-même, on peut le sous-traiter à une société spécialisée. Il n’est donc pas surprenant d’assister à une croissance aussi importante des sociétés de gestion de fonds, qui perçoivent des management fees élevés (cf. remarques d’Aglietta sur la finance hypertrophiée).

(P.S. si quelqu’un a une bonne référence sur la notion d’économie de dette, je suis preneur, merci! dédicace spéciale à éconoclaste-Alexandre ;-))

(sorry pour le double post)

Voici quelques autres symptômes d’une économie de dette qui me viennent à l’esprit :
- elle déresponsabilise les acteurs, car en cas de pertes, c’est le créancier (ou le contribuable) qui paie;
- elle est fragile, car au moindre choc l’effet domino propage l’onde de choc à beaucoup d’acteurs;
- elle menace les contrats privés, car lors d’une faillite c’est le liquidateur judiciaire qui solde les contrat, et la volonté initiale des parties cède la place au pouvoir judiciaire (ou exécutif…).

Real dit :

@ Gu Si Fang

votre explication via le concept d’economie de la dette me semble tres feconde. Une telle economie ne peut me semble t-il fonctionner durablement que si le taux de rendement des actifs est superieur au taux d’interet . Je me souviens de mes lectures dans une autre vie sur le taux d’interet naturel de Wicksell et des desordres en matiere de creation monetaire qui s’en suivaient lorsque le taux d’interet effectif passait sous le taux naturel. Les banques centrales ,en etant en grande partie responsables du niveau general des taux d’interet, jouent un role tres perturbateur. je ne sais pas si cette analyse a eu des developpements modernes mais son application a la crise actuelle est tres eclairante.

@ Real

Je n’ai lu que des commentaires sur Wicksell et pas la source, mais je sais que c’est lui qui a développé cette idée que la manipulation du taux d’intérêt monétaire était néfaste. Si le taux monétaire s’écarte du taux naturel, le signal “prix du temps” est bruité et les acteurs se trompent dans leurs calculs économiques.

La principale objection est celle des anticipations rationnelles. Tout le monde sait que les B.C. ont une politique monétaire expansionniste, et on peut donc se protéger en intégrant une prime d’inflation dans les contrats de prêt. Mais cette objection est insuffisante, car même si on essaie consciemment de hedger contre les décisions des B.C. il n’y a pas moyen de le faire parfaitement puisqu’elles sont discrétionnaires. On peut donc réduire les effets mais on ne peut jamais les annuler complètement. De plus, ce travail d’anticipation a un coût (les salaires des “Fed watchers” sont un exemple), il ne faut pas l’oublier!

Il y a un deuxième argument qui n’avait pas été vu par Wicksell. Avec une expansion monétaire constante et prévisible (par exemple 4% à la Friedman), tout le monde pourrait en théorie anticiper et se protéger parfaitement contre l’inflation. Mais même dans ce cas “idéal” il subsisterait un autre effet qui, lui, ne peut pas être éliminé. C’est ce qu’on appelle l’effet Cantillon ou effet d’injection : la création monétaire n’est pas distribuée de façon homogène (génie pour Hume, hélicoptère pour Friedman). Certains reçoivent la nouvelle monnaie en premier, et d’autres en dernier une fois qu’elle a passé de main en main. Or les premiers et les derniers n’ont pas les mêmes préférences, et il en résulte une distorsion de la demande, des variations de prix relatifs, ainsi qu’une redistribution de richesses opaque et aléatoire.

Au final, mon sentiment est que :
- les anticipations ne sont pas très bonnes : l’inflation constatée ex post a été généralement supérieure aux anticipations ex ante, et les acteurs économiques ne hedgent pas si bien que ça;
- les variations de prix relatifs conduisent entre autres à des hausses qui se transforment en bulles dans l’immobilier ou les commodités, ainsi qu’à des profits et des salaires très élevés dans la finance;
- à long terme, ceci n’est pas soutenable, d’autant que le levier augmente sans cesse (par définition) et que le secteur financier est de plus en plus fragile.

NB : J’emploie le terme “economie de dette” que j’ai du lire quelque part, parce qu’il me semble correspondre à ce qui est décrit. Je ne sais pas ce qu’il désigne habituellement. Si quelqu’un a une référence, merci de la partager!



25 octobre 2008

Une (modeste) critique de la théorie autrichienne du cycle

Source : Rationalité Limitée
La crise financière actuelle est-elle liée à la politique monétaire menée par la FED entre 1999 et 2004, laquelle a durant cette période baissé son principal taux directeur de près de 5% à moins de 2% ? Beaucoup répondront que cela a été un facteur, mais un parmi d’autres, sans plus. Mais quelques uns, les “autrichiens“, prétendent qu’il s’agit de la cause majeure, de l’étincelle qui a allumé le feu. Les autrichiens appuient leurs propos sur leur théorie du cycle, appelée “Austrian Business Cycle Theory”, ou, plus simplement, ABCT. Etant donné le contexte, cette théorie a un pouvoir de séduction assez important. Pour autant, fournit-elle réellement une explication satisfaisante à la crise actuelle ?
Joli billet !

C’est pas évident de résumer l’ABCT en quelques paragraphes. J’essaie quand même, avec une présentation qui diffère un peu de la vôtre :

1) L’ABCT est une théorie macroéconomique qui repose sur des postulats microéconomiques très classiques :
- Les prix sont des signaux qui permettent aux entrepreneurs de connaître les préférences des consommateurs (sous une forme très agrégée).
- La production prend du temps, car c’est une succession d’étapes spécialisées. Par exemple dans l’acier : recherche de gisements, extraction du minerai, fonderie, transport, usinage, assemblage, distribution.
- La meilleure façon de décrire le taux d’intérêt est de dire que c’est le prix du temps. Il agrège les préférences de toute la société entre présent et futur.
- Une distorsion des prix se traduit par de la pénurie ou de la surproduction dans un secteur. De même, une distorsion des taux se traduit par un excès ou un manque d’investissements dans certaines étapes de la production.

2) La CAUSE qui est étudiée dans l’ABCT est la création monétaire. Les détails de la théorie dépendent donc du cadre institutionnel. Aujourd’hui, la création monétaire est principalement faite par les établissements de crédit (donc monnaie endogène, oui). Mais la banque centrale joue un rôle… central ;-) En effet, dans un régime de banques à réserves fractionnaires, la création de monnaie par les établissements de crédit est limitée – entre autres – par le volume de leurs fonds propres et par le degré de confiance des clients. Or la banque centrale assouplit nettement ces deux contraintes et permet aux banques d’augmenter leur création monétaire puisque :
- elle agit directement sur les réserves des banques,
- elle est prêteur en dernier ressort pour les banques au cas où elles prendraient trop de risque,
- elle est garante des dépôts pour les déposants ce qui limite les paniques (en pratique c’est une institution distincte mais je simplifie car le résultat est pratiquement une équivalence entre les dépôts et la monnaie de réserve).

3) La méthodologie de l’ABCT ne consiste pas à construire un modèle macro ou micro, mais à étudier des liens de cause à effet. En l’occurrence, il s’agit d’examiner les CONSEQUENCES de la création monétaire. En toute rigueur, le problème ne devrait donc pas être « Qu’est-ce qui a causé la crise ? » mais plutôt « Qu’est-ce qui se passe lorsque la Fed baisse ses taux ? ». Comme la monnaie est créée en certains points de l’économie, certains acteurs dépensent cette monnaie en premier, avant que ses effets inflationnistes aient fait monter les prix. Les derniers à recevoir la monnaie sont au contraire pénalisés car l’inflation diminue leur pouvoir d’achat. Cette effet redistributif complexe est connu sous le nom d’effet CANTILLON. Il se distingue de l’effet plus classique de l’inflation, qui enrichit les débiteurs au détriment des créanciers.

4) La spécificité de l’ABCT est de tenir compte du fait que tous les prix ne montent pas simultanément. Comme les prix relatifs sont modifiés, on a vu que cela entraînait des changements dans l’allocation des ressources et dans la coordination temporelle des étapes de production. Certaines étapes des chaînes de production deviennent sur- ou sous-dimensionnées par rapport aux étapes amont et aval. Tous les acteurs recevant les mêmes signaux prix erronés, leurs erreurs de calcul microéconomiques ont tendance à être « alignées ». Ceci se traduit par des erreurs GROUPEES qui ont un impact macroéconomique, contrairement à des erreurs individuelles aléatoires.

5) Une illustration simple de ces erreurs est donnée par la comptabilité des entreprises. Lorsqu’il n’y a pas inflation, l’amortissement linétaire d’une machine permet à l’entreprise de provisionner des ressources suffisantes pour renouveler son capital au fur et à mesure de son usure. Mais en période d’inflation, les prix ont monté à la fin de la période d’amortissement. L’entreprise se rend alors compte qu’elle n’a pas provisionné assez pour renouveler sa machine. Elle a temporairement surestimé son résultat en consommant son capital. C’est le risque majeur du cycle autrichien : un niveau d’épargne insuffisant qui se traduit par une baisse du stock de capital de l’économie. Pour satisfaire leurs préférences temporelles, les individus auraient du épargner plus. A la phase de création monétaire du « boom » succède donc une phase de « bust » où la monnaie est détruite par le credit crunch, les acteurs consomment moins et se mettent à épargner pour reconstituer le stock de capital, les erreurs de prix sont corrigées, et la production se réaligne sur les préférences des consommateurs.

6) Les recommandations découlant de cette analyse
Une politique monétaire visant à limiter la création monétaire pour éviter le boom :
- de préférence, supprimer la banque centrale (et pour certains, interdire la banque à réserves fractionnaires),
- à défaut, revenir à un étalon-or,
- abolir la garantie des dépôts,
- abolir le prêteur en dernier ressort.
Un strict laissez-faire pendant le bust :
- surtout pas de « relance » par de la création monétaire, au risque d’aggraver la distorsion des taux !
- ne surtout pas essayer de stimuler l’économie ni de soutenir tel ou tel secteur, ni de contrôler les prix, au risque d’aggraver les distorsions dans l’économie,
- laisser les banques insolvables faire faillite et être rachetées ou liquidées,
- se souvenir que la déflation n’est pas une catastrophe.

Moyennant quoi la convalescence n’a aucune raison d’être longue. Dans une économie riche et pas trop mal portante comme les nôtres, on peut imaginer que tout soit derrière nous en deux ans. Mais avec des banques centrales et des chefs d’Etats activistes, c’est une autre affaire. Comme Milton Friedman et Anna Schwartz, les économistes autrichiens considèrent que le krach de 1929 n’avait aucune raison de se transformer en Grande Dépression. Selon eux, le problème n’était pas non plus la déflation des années 30, mais les mesures de Hoover et plus tard Roosevelt.

Remarques :

La logique de l’ABCT est d’étudier les conséquences de la création monétaire. La création monétaire a été importante depuis la fin de Bretton Woods, et a été particulièrement rapide après le 11/9/2001. Mais cela n’exclut pas qu’il puisse y avoir d’autres facteurs. Si l’on prend l’économie américaine, par exemple, Fannie Mae et Freddie Mac ont joué un rôle significatif dans l’(hyper)croissance des subprimes, EN PLUS du phénomène purement monétaire. Il ne s’agit donc pas de défendre l’ABCT contre telle ou telle autre explication (à condition qu’elle tienne la route).

Un autre aspect de l’ABCT est que sa méthode consiste à étudier des liens de cause à effet. Ce n’est pas pour autant un « théorème » irréfutable. Mais l’explication qui est donnée est nettement plus solide que les explications psychologiques que l’on entend si souvent. L’avidité des banquiers, par exemple, est typiquement une explication psychologique qui n’a aucune valeur explicative, comme s’il y avait eu une soudaine « épidémie d’avidité » dans la finance ces dernières années…

Objections :

Vous avez cité les objections les plus fréquentes : anticipations rationnelles, confusion entre surinvestissement et malinvestissement. On peut aussi objecter que la création monétaire pourrait, en théorie, se traduire par des anticipations d’inflation et une HAUSSE des taux (au lieu de la baisse supposée de l’ABCT). Les études empiriques confirment plutôt la baisse. Il y a bien sûr la théorie de Minsky, selon qui les bulles spéculative n’ont pas besoin de stimulation monétaire pour apparaître. La méthodologie autrichienne fait aussi l’objet de critiques, etc. Globalement, ce serait une bonne nouvelle s’il y avait plus de critiques de qualité sur l’ABCT (pas comme celle de Krugman…). Cela ouvrirait la voie à de nouveaux développements, et peut-être à son incorporation dans les théories mainstream du cycle.

Si vous trouvez que tout ça est bien compliqué, bienvenue au club ;-) C’est sans doute un gros défaut de l’ABCT, qui se prête mal à une explication à la télé. Une manière de la résumer en une phrase pourrait être : « Touche pas aux prix, Heidi ! Touche pas aux taux, Otto ! »


24 octobre 2008

Anti-crisis inaction plan

Impossible de tout dire en 30 slides, mais l'essentiel est là :

23 octobre 2008

Des bulles sans savon?

Source : forum Général d'éconoclaste

Il y a quelques jours je posai une question sur les bulles dans la Chatbox.

Voici quelques variantes de cette question :
* Y a-t-il des bulles d’actifs dont les causes soient clairement non financières?
* Connaît-on un exemple de bulle qui soit due à l’esprit spéculatif et moutonnier des investisseurs, sans “aide” monétaire?
* Le "concours de beauté" de JMK, "ça vaut ce que je penses que tu penses que je penses etc." est-il possible sans la finance?

L'origine de tout ça est la bulle immobilière et la crise des subprimes. Dans la recherche des causes et des remèdes, il y a deux options :

1) Soit on considère que les bulles d'actifs sont inévitables, par exemple parce que la valorisation des actifs est très sensible au "je pense que tu penses que je pense..." (Keynes, Minsky). Cela revient à considérer que l'équilibre intertemporel est fondamentalement instable, gênant... Certaines expériences de Vernon Smith vont (un peu) dans ce sens.
--> Le remède est de changer les règles du marché financier, car les investisseurs se trompent "fatalement"

2) Soit on considère qu'elles sont causées par une expansion monétaire. Je penche plutôt pour cette option. Ce ne sont pas les exemples qui manquent!
--> Le remède est de changer les règles du marché monétaire

SM et C.H. m'ont aimablement suggéré quelques lectures : jeux de coordination, Keynes, JP. Dupuy et André Orléan. Ces auteurs décrivent tous le phénomène (spécularité, auto-référence, concours de beauté). Mais ils ne répondent pas à la question du rôle de la monnaie.

A part en laboratoire, connaît-on un seul exemple réel de bulle d'actifs (failure to coordinate expectations, pour parler poliment) où la monnaie n'a pas joué un rôle prépondérant?

Réaction de henriparisien :
Vous partez du principe que les bulles sont nocives.

Il me semble que ce point devrait quand même être validé avant de vouloir les réduire où les supprimer.

Les deux dernières bulles – Internet et les Sub primes – ont permis, pour la première de fiancer un nouveau secteur économique et pour la deuxième des millions de logement.

Ce financement n’est peut-être pas optimum. Il s’est traduit entre autre par des pertes en bout de chaine. Mais si on veut comptabiliser les pertes, il faut aussi comptabiliser les gains. Et ceux-ci sont très importants.

L’un des gros avantages des bulles – ou plutôt des mécanismes qui favorisent l’apparition des bulles – c’est la possibilité de concentrer rapidement des capitaux importants sur des marchés assez étroit et par là d’accélérer considérablement la croissance de ces activités.

Si on considère que l’éclatement des bulles est nocif – et même cela reste à démontrer – il faudrait plutôt rechercher des mécanismes permettant d’atténuer les effets de cet éclatement.
@ henriparisien, merci pour votre réponse

"Vous partez du principe que les bulles sont nocives."

Oui. En tous cas, je ne vois rien de positif si on accepte une définition des bulles du genre : hausse très excessive des prix, généralement suivie d'une chute, qui sont le signe que des millions d'acteurs ont simultanément commis une erreur de prévision dans leurs décisions économiques.

F.Bastiat décrit en long et en large l'erreur de la "vitre cassée" dans "Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas". On voit l'activité générée par les excès d'investissement de la bulle (le remplacement de la vitre crée une activité visible). Mais on ne voit pas les activités qui auraient eu lieu si ces investissements avaient été dirigés ailleurs (ce qu'on aurait pu faire de plus utile avec l'argent de la vitre est invisible, puisque non réalisé).

Le boom d'Internet et de l'immobilier ont cassé des millions de vitres. Ce que je veux dire par là, c'est qu'une part du capital a été investi inutilement car il n'y avait pas de demande des consommateurs en face, en tous cas pas à cette hauteur. Par exemple, 75% des fibres optiques longue distance posées en 2000 sont toujours "noires". Et en ce moment, des groupes d'acheteurs potentiels visitent en bus des maisons fantômes... Une bulle est donc un authentique gaspillage, même si il y a des vitriers qui s'enrichissent au passage.

Mais si on revient à la question du post : où est l'exemple de bulle spéculative non monétaire?

Réaction d'éconoclaste-Alexandre :
Je vous conseille cette lecture :

[www.amazon.fr]

C'est assez journalistique, un peu frustrant parfois, mais montre les mécanismes d'apparition des bulles avec plein d'exemples, et leurs effets. La thèse de l'auteur, c'est qu'elles sont des périodes d'excès mais cet excès est bon, parce qu'il met en place des infrastructures et des institutions utiles à long terme. Comme exemples de bulles "non monétaires", on pourrait citer celle des chemins de fer aux USA au 19ème, ou du télégraphe à la même époque.
"Pop!" : ça irait donc dans le sens de henriparisien. Le livre n'est pas cher en plus, excellent!

Merci pour les exemples du chemin de fer et du télégraphe. Il faut être prudent sur le premier. Lorsque l'automobile est arrivée, les chemins de fer ont senti le vent tourner et ont obtenu différentes sortes de monopoles et de subventions. Certains mauvais investissements n'avaient peut-être pas d'autre finalité que d'obtenir ces subventions.

Réaction de AJC :
Les bulles existent depuis un bail...

L'exemple de la Tulipomanie en Hollande au XVIIème...
[fr.wikipedia.org]
La tulipmania est en effet un bon candidat, mais cette version reste soumise à caution :
[ideas.repec.org]
[www.mises.org]
[www.ft.com]

et bien sûr :
[econoclaste.org.free.fr]
;-)

Puis, plus tard :
"Systemic Crises and Growth" sur VoxEU
[www.voxeu.org]

Il y a beaucoup de choses justes dans cet article, mais l'erreur est de conclure qu'il y aurait un choix à faire entre :
- une finance dérégulée instable et une croissance élevée d'un côté,
- ou bien une finance réglementée stable et une croissance faible de l'autre,
comme s'il était impossible d'avoir une finance dynamique ET stable.

A regarder l'histoire des bulles et les statistiques correspondantes sans aucune théorie du cycle économique, on finit par tomber dans ce genre de recommandation : "d'après ce que je vois il n'y aurait pas de croissance sans bulles, donc acceptons les bulles si l'on veut la croissance"...

Pas besoin de faire de l'économie pour ça : c'est l'idée centrale de "Pop! Why bubbles are great for the economy". Un préjugé sous-jacent, qui remonte au moins à Keynes, est que les crises financières sont dans la nature du système. C'est pas d'chance! Donc il faut les stabiliser on n'a pas le choix ;-)

A moins que je sois passé à côté d'un truc, je n'ai vu qu'une seule théorie des cycles qui tienne la route, et c'est la théorie autrichienne du cycle économique. Elle permet d'attribuer les causes à notre régime de monnaie fiduciaire, et de chercher les bons remèdes, au lieu de soigner les symptômes à coups de centaines de milliards. Toutes les crises étudiées par les auteurs se situent entre 1960 et 2000, donc sous un régime de monnaie fiduciaire (on va pas chipoter pour les années 1960), et nous y sommes encore. D'après la théorie misésienne on peut prévoir qu'il y aura encore des bulles et des krachs à répétition.

Réaction d'éconoclaste-Alexandre :
"A moins que je sois passé à côté d'un truc, je n'ai vu qu'une seule théorie des cycles qui tienne la route, et c'est la théorie autrichienne du cycle économique."

Oui, vous êtes passé à côté d'un truc. Outre toute l'analyse économique des fluctuations depuis au bas mot 70 ans, vous oubliez que les théories du cycle sont de médiocres outils pour étudier la croissance à long terme.
@ Alexandre

Pour être constructif, j'aimerais bien voir :

1) une argumentation un peu plus structurée contre l'ABCT que simplement "vous n'aviez qu'à lire tous ces autres livres et articles" (sachant que j'en suis à un certain nombre sur le sujet et me plonge actuellement dans le T.Cowen)

2) une contre-proposition : les cycles réels, autre? (on a déjà parlé de Minsky)

3) et si vous étiez vraiment gentil, vous nous feriez avec SM un petit état des lieux sur les théories du cycle. Parce que si on devait se contenter de Bernard Rosier [www.amazon.fr] ...

Mais je suis conscient que les journées n'ont que 24 heures et tout et tout ;-)

Réaction de Heu... :
Les théories dites "du cycle" portent quand même mal leur nom je trouve. L'idée de cycle sous-entend qu'il y aurait une périodocité, une régularité, ce qui n'est pas véritablement constaté empiriquement. On devrait plutôt parler de "théories des vagues" ou "théories des chocs".

Cette remarque sémantique faîte, sans être un connaisseur, je trouve que la faiblesse de l'ABCT est son côté a-institutionnel, quoique se soit un reproche que l'on peut faire à a peu près toutes les théories du cycle je pense. Son principal problème est que le mécanisme qu'elle décrit est bien trop générique et général pour être vraiment utile et testable (je sais, c'est un gros mot pour les autrichiens ;-) ). Je veux dire par là, lier l'occurence de cycle à une expansion monétaire préalable engendrant un "mal-investissement" est intéressant mais insuffisant car il faut autre chose pour comprendre le passage expansion monétaire --> mal-investissement. La théorie ABCT n'est pas satisfaisante sur ce point car le mécanisme qu'elle décrit est beaucoup trop générique et surtout pas logiquement inévitable. Le truc, c'est qu'il faudrait au préalable montrer que TOUTES les expansions monétaires se sont traduites par du mal-investissement et un mouvement cyclique. Si on arrive à montrer qu'il y a au moins une exception à cette règle, c'est qu'alors il y a fatalement d'autres facteurs qui entrent en ligne de compte. Et c'est là qu'il faut regarder le rôle des institutions. Il faut aussi remarquer que les mouvements "cycliques" ne datent pas des années 60 et du système monétaire moderne.

En disant tout ça, j'ai a l'esprit un article du post-keynésien Paul Davidson qui en février décrivait l'enchainement des évènements actuels. Davidson considère que l'on est pas dans un "Minsky moment" et surtout insiste sur un facteur institutionnel clé dans cette crise : l'abrogation en 1999 du Glass-Steagall Act. Avant cette abrogation, les actifs issus des crédits hypothécaires auraient été légalement non -liquides, ce qui aurait empêché la propagation de la crise. Peut-être que la crise se serait manifestée autrement, mais en tout cas cela prouve que l'on ne peut ignorer le facteur institutionnel.

Je ferai peut-être un billet là dessus dans les jours prochains.

Mon blog : rationalitelimitee.wordpress.fr
Réaction d'éconoclaste-Alexandre :
Plusieurs choses.

Oui, là, j'ai pas trop le temps. Donc désolé si je fais des posts courts et parfois abrupts.

Entièrement d'accord avec CH : parler de "cycles" ne tient pas. Les économies fluctuent. On pourrait ajouter que les "crises" ne sont pas toutes monétaires et financières.

En matière d'explication des fluctuations, vous pourrez trouver le gros bloc des analyses keynésiennes, et les théories du cycle réel. Le fait d'oublier que des chocs sur la productivité puissent produire des fluctuations est absente de l'ABCT, ce qui est un comble. Concernant les analyses keynésiennes, elles ne font pas naître les crises dans une sorte d'instabilité congénitale de la finance, mais dans les fluctuations de la demande globale, qui peuvent avoir des tas de causes. J'ajouterai pour faire bon poids la version Fisher Black, citée par Cowen hier dans le NYT, aussi féconde qu'inexploitée.

L'article incriminé par GSF explique qu'une économie en croissance connaîtra nécessairement des fluctuations, se rapprochant donc d'une explication "cycles réels"; mais des modèles de croissance, comme le modèle néo-schumpeterien d'Aghion et Howitt, reviennent à ce genre d'idées. EN tous les cas, faire une critique de ce papier fondée uniquement sur des théories des fluctuations risque de conduire à passer à côté du problème.
Cet article de Robert Murphy (rien à voir avec la "loi") arrive à point nommé!
[mises.org]

Il traite de l'incompréhension la plus fréquente concernant l'ABCT, notamment pour les macroéconomistes : la confusion entre surinvestissement et malinvestissement; le fait que la baisse des taux nominaux semble (ce n'est qu'une apparence) encourager à la fois les investissements ET la consommation. Une lecture attentive est nécessaire, et il est recommandé de consulter les slides de Garrison car Murphy n'a pas la place de tout développer dans un article. Une des faiblesses de l'ABCT est sa complexité... Réfs [www.auburn.edu] et [mises.org]

Concernant les autres objections, soulevées par Heu... et Alexandre, en bref :
- l'ABCT explique bien la récurrence des cycles (pour Ricardo et l'ABCT, chaque cycle est lié au précédent, tandis que chez Keynes, pour les monétaristes ou avec les cycles réels chaque cycle est un événement indépendant)
- l'ABCT ne prend pas en compte les institutions particulières de chaque époque et a certainement besoin d'être contextualisée (par exemple quid d'une déflation laissez-fairiste en présence d'un salaire minimum?)
- les Autrichiens ne disent pas que toutes les crises sont monétaires, mais pensent que toutes les crises généralisées le sont (cluster of errors)
- la macro autrichienne n'est pas une "théorie du tout" mais elle présente l'avantage d'être cohérente avec la micro autrichienne (pour faire une analogie douteuse : en physique, la relativité générale et la méca Q sont contradictoires; en macro standard, c'est un peu pareil, et j'ai l'impression que c'est plutôt la macro qui est en difficulté)

Si j'y arrive, j'essaierai de faire un tableau avec les différentes théories du cycle en colonnes, et en lignes les observations empiriques qu'elles expliquent / n'expliquent pas (la récurrence, la fluctuation des secteurs des biens de consommation / biens de production, le chômage, etc.)

Comme disait BB : "Je n'ai besoin de personne, surtout pas Davidsonne... sonne..."
Non, sérieusement, merci pour la référence à Paul Davidson que je ne connaissais pas!



Réflexions matinales sur la crise financière

Dans un article du New York Times, Tyler Cowen donne les trois raisons pour lesquelles cette crise financière est survenue : la création de nouvelles richesses liée à une période de forte croissance dans de nombreux pays et qui s’est convertie en épargne abondante, une propension plus grande de la part des acteurs à prendre des risques, et enfin une gouvernance défectueuse et un manque de discernement face au risque réel. L’éclatement de la crise est la conjonction simultanée de ces trois éléments qui, selon Cowen, relève surtout du hasard, du manque de chance.

Je rejoins Cowen sur l’aspect “pas de chance” de la crise. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle prendre cette crise à témoin pour expliquer que le système financier ne fonctionne pas n’est pas fondé. Il y a clairement eu une dimension aléatoire dans tout ça. Maintenant, je pense que les trois facteurs ne sont pas si indépendants les uns des autres que ne semble l’entendre Cowen. Notamment, la faible gouvernance et la dispersion des informations sont clairement une des raisons pour lesquelles les agents ont été plus enclins à prendre des risques. Comme indiqué dans ce billet, l’incertitude radicale explique en partie pourquoi les prises de risque ont cru de manière exponentielle. De manière générale, la propension à la plus grande prise de risque de la part des acteurs ne tombe pas du ciel, elle est liée à une structure d’incitations qui a provoqué cela.

Je suis surpris que T.Cowen adhère à l’argument du “global saving glut” de qui-vous-savez.

Parmi les ex-pays communistes qui se sont ouverts depuis 20 ans et ont eu de forts taux de croissance, il n’y a pas que la Chine. Retrouve-t-on le même phénomène d’accumulation de réserves en bons du Trésor ailleurs?

Cette accumulation répond-elle à une logique économique (prévention des crises de change)? de politique intérieure (mercantilisme)? de politique extérieure (rapport de force avec les US)? Comme les banques centrales n’obéissent pas à une logique de droits de propriété et ne sont pas responsables des conséquences de leurs décisions, il est difficile d’interpréter leur comportement.

Quelques indices sont donnés dans cet article : http://voxeu.org/index.php?q=node/2361



Interview d'Anna Schwartz

Source : forum général d'éconoclaste

Anna Schwartz, 92 ans, est coauteur avec Milton Friedman de "The monetary history of the United States". Cette interview dans le WSJ est assez étonnante [online.wsj.com] . Quelques extraits :

1) Causes

How did we get into this mess in the first place? As in the 1920s, the current "disturbance" started with a "mania." But manias always have a cause. "If you investigate individually the manias that the market has so dubbed over the years, in every case, it was expansive monetary policy that generated the boom in an asset

Cf. cette discussion sur le forum [forum.econoclaste.free.fr]

2) L'analyse de la situation

In the 1930s, as Ms. Schwartz and Mr. Friedman argued in "A Monetary History," the country and the Federal Reserve were faced with a liquidity crisis in the banking sector [...] But "that's not what's going on in the market now," Ms. Schwartz says. Today, the banks have a problem on the asset side of their ledgers -- "all these exotic securities that the market does not know how to value."

3) Le remède pas original du Dr Schwartz

"Why are they 'toxic'?" Ms. Schwartz asks. "They're toxic because you cannot sell them, you don't know what they're worth, your balance sheet is not credible and the whole market freezes up. We don't know whom to lend to because we don't know who is sound. So if you could get rid of them, that would be an improvement." The only way to "get rid of them" is to sell them, which is why Ms. Schwartz thought that Treasury Secretary Hank Paulson's original proposal to buy these assets from the banks was "a step in the right direction."

Le problème est qu'elle voit le Treasury comme un trou noir qui va faire disparaître les incertitudes sur la valorisation des actifs en question...

4) Le remède original du Dr Schwartz

"Firms that made wrong decisions should fail," she says bluntly. "You shouldn't rescue them. And once that's established as a principle, I think the market recognizes that it makes sense. Everything works much better when wrong decisions are punished and good decisions make you rich." The trouble is, "that's not the way the world has been going in recent years."
Instead, we've been hearing for most of the past year about "systemic risk" [...] Ms. Schwartz doesn't buy it. [...]
When the authorities finally got around to letting Lehman Brothers fail, it had saved so many others already that the markets didn't know how to react. Instead of looking principled, the authorities looked erratic and inconstant.

Assez peu d'économistes ont préconisé cette politique : laisser les banques individuelles faillir pour ne pas éliminer du marché tout principe de responsabilité.

Note perso : garantir les prêts et annuler la prime de risque sur le marché interbancaire va également dans le mauvais sens. Les participants deviennent aveugles, ils n'ont plus moyen de savoir quelles sont les banques solides et fragiles.

et, plus tard :

Cela faisait plusieurs fois que Tyler Cowen faisait remarquer que la production de crédit ne semblait pas s'écrouler. Or c'est notamment cette crainte d'un gel du marché interbancaire qui justifiait l'intervention publique dans le secteur bancaire.

Aujourd'hui, T.Cowen signale une étude qui prétend démystifier le sujet, en réfutant quatre "mythes" ("idées fausses" pour SM ;-) [www.minneapolisfed.org] :
1. Bank lending to non-financial corporations and individuals has declined sharply.
2. Interbank lending is essentially nonexistent.
3. Commercial paper issuance by non-financial corporations has declined sharply and rates have risen to unprecedented levels.
4. Banks play a large role in channeling funds from savers to borrowers.

Arrêt sur image

Source : forum Général d'econoclaste
Une émission d'arrêt sur image avec A. Delaigue, sur la crise financière, les banques, et les théories du complot autour de la monnaie :
[www.dailymotion.com]
Oups, je vois ce fil juste après avoir posté un message dans la chatbox.

La phrase du jour est donc sans conteste :

"[La fausse monnaie] n'est pas véritablement un délit dans la mesure où c'étaient les gouvernements qui le faisaient, donc c'était pas forcément un problème [...] Les banquiers ne se rendaient absolument pas compte qu'ils prêtaient de l'argent qu'ils n'avaient pas".

Franchement, Alexandre, qu'est-ce qui vous est passé par la tête? Bon, en tous cas j'ai bien ri, merci!

Réaction de Heu...
@GSF :

D'un point de vue positiviste (juridique), n'est un délit que ce qui est qualifié comme tel par l'autorité politique. Donc effectivement, dès lors que la "fausse monnaie" est garantie par l'Etat et que tout le monde est au courant (et "nul n'est censé ignorer la loi"), ce n'est pas un délit.

Pour le reste, je n'ai jamais eu de réponse de la part des partisans de la couverture totale à cette simple question : partant du principe qu'il faudrait bien une autorité centrale ayant le monopole de la violence légitime pour enforcer la règle de la couverture 100%, comment peut-on raisonnablement escompter qu'un jour une telle autorité (l'Etat, donc) impose une telle règle alors même qu'elle contribuerait aussi bien à atténuer son pouvoir à elle ainsi que les capacités de croissance de l'économie ?

Si l'on considère que cette croyance est illusoire (ce que je pense), à quoi bon s'acharner contre la banque à réserves fractionnaires ?
Réaction d''éconoclaste-Alexandre :
Gu si fang : c'est quoi la vraie monnaie?

Et d'ailleurs, je ne vois pas ce qui vous fait rire. La première remarque se trouve si mes souvenirs sont exacts dans le contexte de l'explication de la partie de l'histoire de la monnaie décrite dans le film, ou je voulais rappeler que l'adultération des pièces était une pratique publique : Quand Scheidermann dit que "là c'est très différent, c'est de la fausse monnaie", objectivement, non, c'est pas différent.

Quant au fait que les banquiers ne savaient pas qu'ils prêtaient de l'argent "qu'ils n'avaient pas" c'est avéré par toute l'histoire économique. N'oubliez pas que la comptabilité en partie double n'est arrivée que tardivement, et que sans cela, vous tenez une comptabilité de caisse. Avec une comptabilité de caisse, vous allez créer de la monnaie scripturale sans le voir. La compréhension du mécanisme comptable de création de monnaie scripturale est intervenue de ce fait historiquement bien après que la pratique ait été courante.
@ Heu...

Sur le fait qu'une monnaie convertible soit un obstacle à la toute-puissance de l'Etat, je suis bien d'accord. A l'inverse, la fin de la convertibilité au 20ème siècle s'est accompagnée d'une croissance démesurée de l'Etat, et j'y vois personnellement un lien de cause à effet. Il n'est donc pas surprenant qu'aucune autorité monétaire n'en parle. Idem pour les banques qui sont les premiers bénéficiaires de la banque à réserves fractionnaires. C'est bien pour ça que la monnaie est un terrain idéologiquement si disputé ;-)

Lorsque l'Etat et les banques ont des intérêts convergents, le pékin lambda n'a effectivement pas le pouvoir de s'opposer à leur volonté. Mais il peut au moins diffuser les idées, et les argumenter de façon rationnelle. C'est ce que j'essaie de faire!

PS : On peut discuter pour savoir s'il faut imposer une couverture à 100%. Je ne le pense pas car elle s'imposerait d'elle-même si l'on faisait respecter le contrat entre le client et la banque.

PPS : L'idée que la création monétaire contribue à augmenter les capacités de croissance de l'économie est un mythe (qui a la vie très très dure...)

Réaction de éconoclaste-SM :
"L'idée que la création monétaire contribue à augmenter les capacités de croissance de l'économie est un mythe (qui a la vie très très dure...)"

Qui ici porte ce mythe ? Et quel est votre mythe alternatif ?
La loi de Say nous donne une base minimale pour concevoir la monnaie dans le long terme (donc sur la période pertinente pour parler de la croissance).
La contestez-vous ?
Beaucoup de questions, donc je vais faire des réponses nécessairement trop courtes. Tout vient de mauvaises théories économiques sur deux sujets-clés :
- la monnaie
- l’intérêt

@ Alexandre

« Gu Si Fang : c'est quoi la vraie monnaie? »

La vraie monnaie, c’est l’archétype de l’ordre spontané hayékien. Quand les gens ne volent pas et ne mentent pas - qu’ils en sont empêchés par des institutions suffisamment efficaces - une ou quelques marchandises émergent comme intermédiaire généralement accepté dans les échanges. C’est la présentation de Menger [mises.org] dont je signale au passage qu’elle est adoptée par Orléan et Aglietta dans Violence et confiance. Cette marchandise est ce qu’on appelle une monnaie. La principale différence avec la monnaie actuelle est que personne ne peut produire une vraie monnaie sans effort. La vraie monnaie a donc de la valeur pour tout le monde, et cette valeur est subjective. Ce n’est pas le cas pour un bout de papier ou une monnaie électronique. La monnaie fiduciaire n’a (quasiment) aucune valeur pour celui qui a le droit de « l’imprimer » et de rembourser ses dettes avec, alors qu’elle en a pour tous les autres. Jamais une telle marchandise ne pourrait être acceptée sans vol ni dol comme intermédiaire dans les échanges. En l’occurrence, les vols et dols dont il s’agit sont bien connus et listés par Rothbard : la fausse-monnaie, le monopole légal de l’émission, l’adultération, le cours légal, la banque à réserves fractionnaires, la suspension du paiement en espèces, la banque centrale.

Pour la comptabilité en partie double, je ne suis pas compétent. Je note simplement qu’avec une telle explication, on aurait dû s’attendre à voir le mécanisme des réserves fractionnaires se généraliser à d’autres marchandises : le blé, l’huile, etc. Historiquement, je crois que certains entrepôts ont essayé, et ils ont heureusement été déboutés par les tribunaux, contrairement à ce qui s’est passé dans le cas de la monnaie.

@ Heu…
@ Vilcoyote

Un taux d’intérêt est un prix de marché. La meilleure façon de le décrire est comme « prix du temps ». Il émerge (comme tout prix) au cours des échanges entre des individus qui ont des préférences temporelles différentes (Böhm-Bawerk). De même que la manipulation du prix sur les autres marchés crée des problèmes (plafonnement des loyers), la manipulation du taux d’intérêt crée des problèmes relatifs au temps. La coordination des activités économiques dans le temps est perturbée (Knut Wicksell).

@ Bavard2

« Pourquoi les banquiers ont-ils choisi de conserver les produits les plus risqués (et sans doute les plus profitables) en portefeuille plutôt que de les mettre en vente sur le marché du risque ? »

Vous avez raison, l’idée que le monde entier est manipulée par les banquiers est par trop simpliste. Quand on voit les pertes qu’ils subissent en ce moment, les licenciements, etc. ce sont les symptômes d’erreurs économiques, au même titre que pour les ménages emprunteurs expulsés de leur logement. La théorie autrichienne explique très bien cette notion d’erreur collective (« cluster of errors »). Mais contrairement à Minsky, qui croit que c’est le produit spontané du marché, les Autrichiens montrent comment c’est la manipulation de la monnaie qui produit le phénomène d’erreurs collective, dont la manifestation la plus visible est la crise actuelle. La contribution de Mises a consisté à intégrer les intuitions de la Currency School sur les effets de l’inflation avec les idées de Knut Wicksell sur le taux d’intérêt naturel, tout en s’appuyant sur une bonne théorie de la monnaie (Menger), de l’intérêt et du capital (Böhm-Bawerk), ce qui a donné la théorie autrichienne du cycle économique.

@ sm

« Qui ici porte ce mythe ? Et quel est votre mythe alternatif ? »
On s’en tape, des mites ! :-)
[www.script-o-rama.com]

« La loi de Say etc. »
Je ne suis pas compétent.

Réaction de fred :
@GSF
Sur le côté spontané des réserves fractionnaires, je ne vois pas en quoi être simultanément créancier et débiteur est artificiel. Cela arrive quasiment à toutes les entreprises et à beaucoup de ménages. Les banques se contentent de pratiquer cela à grande échelle.

Sur le système à réserves fractionnaires pour les produits autres que monétaires, on peut tout de même mentionner les marchés à terme (que ce soit pour les matières premières ou les actions) dont le montant est très important.
Sur les marchés actions, on peut observer que la vente à découvert est partiellement autorisée.
Maintenant, c'est vrai que je n'ai pas encore vu de compte courant libellé en boisseaux de blé avec lequel on puisse régler ses courses.
@ Heu...

« Le cas américain est l'exception, pas la règle. En France et en Europe aussi on a un système de banque à réserves fractionnaires. Pourtant, notre taux d'épargne est très élevé. Ce n'est donc pas la banque à réserves fractionnaires en elle-même qui explique ce qui s'est passé aux Etats-Unis. »

Nous avons eu d'autres bulles (1980, 1990). Nous avons probablement une bulle immobilière qui commence à se dégonfler même si nous n'avons pas de prêts "subprime" en France. D'autre pays européens ont une bulle immoilière plus grave encore qu'aux US, qu'ils soient dans la zone euro (Espagne) ou non (UK). Les banques européennes ont des leviers de l'ordre de 30 qui les rendent très fragiles. Etc. etc.

Pourquoi voit-on des différences d'un pays à l'autre alors que nous avons tous peu ou prou le même sytème monétaire? Parce qu'une situation économique ne résulte pas d'un seul facteur (banque à réserves fractionnaires) mais d'une multitude de causes. Dans le cas de la France, je pense que l'interdiction du prêt hypothécaire a joué un rôle important. C'est une forme de rationnement du crédit qui, en la circonstance, a probablement évité le développement d'un marché "subprime". Mais le rationnement du crédit a d'autres effets pervers bien connus des économistes.

Il n'y a donc pas "une" histoire du cycle autrichien. Roger Garrison en parle dans son introduction à "The Austrian Theory of the Trade Cycle and Other Essays" (bientôt en français et en PDF ;-) et en attendant, disponible ici [mises.org] ).

@ fred

« je ne vois pas en quoi être simultanément créancier et débiteur est artificiel. Cela arrive quasiment à toutes les entreprises et à beaucoup de ménages. »

C'est en effet tout à fait légitime, mais cela ne permet pas de créer une "marchandise généralement acceptée comme intermédiaire dans les échanges" - c'est-à-dire de la monnaie. Autrefois vous pouviez le faire. Par exemple, vous pouviez imprimer des billets de Monopoly libellés "100 eurofred" et portant la mention "fred S.A. s’engage à remettre au porteur la somme de 100 euros" (ou 100 pièces d’or si nous étions au XIXème). Une partie de l’histoire monétaire s’est d’ailleurs faite sur ce modèle. Il y avait des "euros SG", des "euros BNP", des "euros LCL" et les banques passaient des accords entre elles pour les convertir (voir par exemple [www.amazon.fr] ).

Ce système était instable aussi, accessoirement, mais l’expansion monétaire était quand même limitée par un facteur. Si vous aviez un capital de 100.000 euros et que vous émettiez 1 milliard d’eurofreds, en moins de 10 minutes il y avait une panique bancaire, les 100.000 euros sortaient de vos coffres et vous faisiez faillite. La banque centrale, en coordonnant l’expansion monétaire de toutes les banques privées, a en partie fait sauter ce verrou. C’est une des étapes très bien décrites par Rothbard, qui est le livre à lire en priorité [dl.free.fr] .

C’est pourquoi je ne suis pas du tout rassuré quand j’entends parler de grande réunion monétaire internationale "façon Bretton Woods" pour coordonner les actions des banques centrales et concevoir un système monétaire mondial [www.lefigaro.fr] . La crise actuelle (2008) et les précédentes (années 70, 1990) sont les descendantes en ligne directe de Bretton Woods (1944). Là encore, toute cette histoire monétaire est très bien résumée dans Rothbard.


18 octobre 2008

Why is the dollar strong

Source : forum Général d'éconoclaste
Bonjour,

Qui pourrait m'expliquer ce post d'Alea?

Why is the dollar strong?

Bank X, a foreign bank takes $ deposits and invests proceeds in $ assets, sadly these turn out to be toxic. Bank X dumps the toxic assets, takes the loss. What do they have to do to make the depositor whole ?
BUY $
Réponse d'Econoclaste-Alexandre
Je suis une banque anglaise, un de mes clients dépose chez moi 100 dollars. Je me sers de ces 100 dollars pour acheter des actifs, et pas de bol, ils ne valent au bout du compte que 80 dollars. Je prends ma perte sur mes fonds propres, mais je dois toujours rembourser mon client déposant de départ : je dois donc acheter 20 dollars sur le marché pour le rembourser.

Première réaction

Attendez! Dans cet exemple, rien ne change pour le dollar :
- le client est propriétaire de $100
- la banque est propriétaire d'un actif médiocre (aucune monnaie ici)

Cela ne rend le dollar ni "weak", ni "strong", ou bien j'ai raté qqc?

Ce qui pourrait arriver dans cet exemple, ce serait :
- soit la faillite de la banque X dont les actifs ne couvrent plus les engagements, et dans ce cas le client n'est pas sûr de retrouver ses $100 qui peuvent changer de mains dans la liquidation
- soit un changement dans la demande d'encaisses monétaires en dollar si les actifs et les transactions en dollars attirent moins de monde, ce qui rendrait le dollar "weak"

Après réflexion
"j'ai l'impression que vous confondez flux et stock"
Ca fait 2-3 jours que ça me trotte dans la tête et en résumé je dirais OUI, les provisions bancaires font monter le cours du dollar.

La distinction flux/stock est pertinente lorsque la demande d'un bien est double : en partie à des fins de consommation (ce qui détruit le bien) et en partie à des fins de stockage. Il faut donc examiner l'offre et la demande de dollars sous l'angle statique (masse monétaire = encaisses monétaire) et sous l'angle dynamique (production = consommation), sans parler des anticipations...

Si la demande d'encaisses en dollars augmente, par exemple, cela génère temporairement une hausse du cours du dollar jusqu'à ce que les consommateurs aient reconstitué le stock qu'ils désirent. Mais ce n'est pas le cas ici. Il n'y a pas de raison de supposer que la demande d'encaisses évolue à cause des provisions passées par les banques.

Je pense plutôt que c'est du côté de l'offre que ça se passe. En simplifiant, le stock de dollars est constitueé de la monnaie de réserve + la monnaie de banque. Ce que j'appelle la monnaie de banque, ce sont les dollars créés lors de l'émission d'un crédit en contrepartie d'une créance. En temps normal, la monnaie de banque est convertible en monnaie de réserve : il suffit d'aller retirer des billets au guichet. En situation de panique, au contraire, les clients font bien la distinction entre les deux formes de monnaie. Ici, il ne s'agit pas d'une panique bancaire.

En revanche, la provision passée par la banque X diminue la valeur de ses créances alors que sa monnaie de banque est toujours en circulation. Si d'autres banques demandent sa conversion en monnaie de réserve, la banque X ne pourra pas faire face. Elle doit donc racheter sa monnaie afin de la détruire, ce qu'elle fait en cédant des actifs pour éponger ses pertes. C'est la destruction de la monnaie de banque qui diminue le stock existant de dollars.

Autrement dit, on peut raisonner très simplement en termes de stock : un provision bancaire est équivalente à une baisse du stock de dollars, ce qui provoque une hausse de son cours si la demande d'encaisses n'a pas changé. La provision bancaire a pour effet de révéler au marché que le stock a diminué. En termes de flux, si cette consommation/destruction de dollars n'est pas compensée par la production de dollars par l'ensemble banque centrale + banques privées, le cours du dollar reste durablement élevé.

17 octobre 2008

Hayek et la bulle de la salle 0C5

Voici (peut-être) une illustration de ce que pourrait être le mal-investissement en capital humain dans la théorie autrichienne du cycle économique :

J'ai eu l'occasion de fréquenter un bâtiment où ont lieu une partie des cours du Master Niveau 2 de Nicole El Karoui, le célèbre "Probabilités et Finances".

Les cours auxquels j'assistais attiraient généralement une petite dizaine d'étudiants. D'autres cours allaient jusqu'à vingt. Mais tous les matins, en rentrant dans le bâtiment, je voyais des étudiants en grand nombre attendre devant la salle 0C5. Sa capacité est proche de 60 personnes, et pourtant certains jours il n'y avait pas de place pour tout le monde.

Cette matière est-elle plus passionnante que les autres? Peut-être. Mais le niveau moyen des salaires des diplômés embauchés dans les salles de marché explique sans doute en partie l'attrait de ce Master. Ici comme ailleurs, le prix sert de signal pour permettre aux "entrepreneurs" étudiants de se diriger là où leur matière grise est la plus demandée. Ce phénomène dépasse largement le Master de Nicole El Karoui, et concerne l'ensemble de la finance moderne, comme le font remarquer Michel Aglietta ou Esther Duflo. La part des profits et des salaires du secteur financier est sans commune mesure avec leur poids dans l'économie.

Dans la théorie hayékienne du cycle, l'expansion monétaire modifie les prix relatifs et pas seulement leur niveau absolu. Elle a pour effet de modifier les signaux reçus par les entrepreneurs, et donc l'allocation des ressources en capital et en travail. Ce que l'on voit avec la salle 0C5, c'est l'effet qu'elle va avoir sur la coordination des agents économiques dans le temps. Une thèse de doctorat prend beaucoup de temps, et une fois terminée, on espère "rentabiliser" cet investissement sur de nombreuses années. Qu'il s'agisse de capital matériel ou humain, tout projet à long terme nécessite un investissement à long terme. Lorsque l'on commet une erreur d'investissement dans ce domaine, une partie du capital perd donc sa valeur. Or ce sont justement ces investissements à long terme qui sont le plus perturbés par la manipulation de la monnaie.

La "bulle" de la salle 0C5 est donc (peut-être) un symptôme de l'expansion monétaire, au même titre que la bulle immobilière.

What's the capital of Iceland ?

Answer : €3,50

16 octobre 2008

Combien coûte une garantie de l'Etat?

La plupart des Etats occidentaux sont en train d'offrir à leurs institutions financières une aide qui se présente sous la forme d'une garantie. Ainsi, l'Etat français projette d'investir 40 milliards d'euros et de garantir 320 milliards. Nicolas Sarkozy déclare :
« Le pari raisonnable que nous faisons est qu’en apportant cette garantie, nous n’aurons pas à la faire jouer », a expliqué le chef de l’Etat. « L’encours total des prêts garantis est plafonné à 320 milliards d’euros. Ce chiffre est un maximum qui ne sera sans doute jamais atteint. Il ne représente en aucun cas un coût pour le contribuable puisqu’il s’agit d’une garantie qui ne jouera qu’en cas de défaillance d’un établissement. En l’absence de défaillance, le contribuable sera gagnant du montant des commissions encaissées sur les garanties souscrites ».
Toujours dans le Monde daté du 15 octobre, on peut lire :
Le projet de loi de finances rectificative déclinant pour la France le plan d’action concerté arrêté le 12 octobre à l’Eurogroupe, prévoit la création de deux « véhicules » spécifiques auxquels l’Etat apporte sa garantie : une « caisse de refinancement », chargée d’alimenter le système bancaire en liquidités, et une société de prises de participation de l’Etat (SPPE), dont la vocation est de participer aux opérations de renforcement ou de stabilisation des fonds propres des organismes financiers. [...]

La caisse de refinancement lèvera donc de la dette sur les marchés en tant que de besoin. Bercy fera valoir auprès de l’Insee et d’Eurostat que cette dette, émise par une institution financière, ne devrait pas être comptabilisée dans la dette publique.

Quant à la SPPE, détenue à 100 %par l’Etat et créée pour renforcer les fonds propres des organismes financiers et pour monter – si nécessaire – au capital de tel ou tel établissement, elle s’endettera à hauteur de ce qui sera nécessaire. Ses dettes seront comprises dans la dette publique.
Le montant le plus important - les 320 milliards - ne seraient donc ni déboursés par le contribuable, ni comptabilisés dans la dette publique. C'est magique! Une analogie très simple permet de voir où est l'erreur dans le raisonnement.

Supposez que vous soyez entrepreneur. Vous avez l'idée de lancer un dentifrice bio aux orties qui devrait faire un carton. D'après vos prévisions, il vous faut 100.000 euros pour financer le projet; vous les avez tout juste. Vous vous apprêtez à lancer le projet mais un soir je sonne à votre porte :

"Dis-donc, j'ai un problème en ce moment. J'ai fait de mauvaises affaires. Ca va mieux maintenant mais il va me falloir un peu de temps pour éponger tout ça. En attendant, tu vas te porter caution pour moi à hauteur de 100.000 euros. Ce n'est pas comme si je te demandais de l'argent : si tout va bien tu ne débourseras pas un euro. Et cette sécurité me permettra de redresser mes affaires."

Vous finissez par accepter, contraint et forcé, parce que votre épouse qui est aussi ma soeur vous fait comprendre que pour une fois vous pourriez rendre service... Que va devenir votre projet de dentifrice?

Aujourd'hui vous avez toujours l'argent, et vous pouvez lancer le projet. Mais si je gère mal mes affaires, vous serez obligé de payer 100.000 euros à mes créanciers, et vous serez en faillite. Cela ne peut que vous inciter à être plus prudent. Soit vous annulerez le projet, soit vous réduirez la voilure, soit vous vous lancerez quand même en vous disant Eh m...!

Il en va de même pour la garantie de l'Etat apportée aux banques. On ne sait pas si on va la payer. On ne sait pas combien on va payer. On ne sait pas qui va payer. On ne sait pas quand on va payer. Pour quelqu'un qui veut entreprendre aujourd'hui, c'est un sacré handicap. Ceci aura donc pour effet de tuer dans l'oeuf une partie des projets nouveaux. Même si au final aucun argent n'est déboursé, ces projets qui n'auront pas été menés à bien seront autant de richesses qui feront défaut.

Voilà ce que coûte la garantie de l'Etat.

Retour au moyen-âge

FRANCE TELECOM en hausse, la 4ème licence 3G serait enterrée

(AOF) - France Télécom (+0,91% à 19,92 euros) résiste à la baisse du marché parisien alors le gouvernement s'apprêterait à enterrer la quatrième licence de téléphonie mobile de troisième génération (3G). Selon une source proche du dossier cité par «Le Figaro», «La quatrième licence est à 98% enterrée». La mise en terre officielle pourrait avoir lieu le 20 octobre lorsque Nicolas Sarkozy présentera son grand plan numérique pour la France. Ce serait donc le risque d'une concurrence plus vive qui disparaîtrait pour les possesseurs des trois licences : Orange, SFR et Bouygues Telecom.

Selon «Le Figaro», le gouvernement privilégierait l'attribution de fréquences par bloc aux trois grands opérateurs, ce qui leur permettrait de répondre à la croissance de leur trafic et de couvrir l'ensemble du territoire. En échange, le gouvernement leur demanderait des engagements en faveur des opérateurs mobiles virtuels.
Ainsi, les trois opérateurs mobiles en place gardent leur oligopole et parviennent à bloquer l'entrée d'un concurrent très dynamique (Free) sur leur marché. En contrepartie, il est possible qu'ils aient consenti à payer une cotisation pour le financement de la télévision publique. Les clients des opérateurs mobiles vont donc continuer de payer leur abonnement plus cher.

A l'époque des guildes médiévales, de riches marchand achetaient au seigneur le privilège d'opérer sur un marché. Les fermiers, souffrant d'épidémies et de famines, payaient un lourd tribut à ce système en s'acquittant d'un prix de monopole au marchand. Le marchand ainsi privilégié devenait donc de facto percepteur d'impôt pour le compte du seigneur.

15 octobre 2008

Après l'option nucléaire, on invente quoi?

Source : econoclaste

Puisque le plan à 700 milliards de dollars ne suffit pas, puisqu'il sera bien difficile de mettre en oeuvre une quelconque solution coopérative en Europe, voici la dernière option : La fed achète directement du papier commercial. Voir chez Felix Salmon l'explication de la chose en termes choisis par Nouriel Roubini. La phrase clé (ma traduction) :

Nous avons atteint le point ou la fed est la seule banque du pays, ou mieux, du monde, car les séries de swaps permettent à la fed de prêter des dollars aux banques non-américaines hors des USA.

Voir aussi alea.

EDIT : comme le pressentait jck dans les commentaires, la véritable option nucléaire, c'est la recapitalisation publique des banques, c'est à dire, en pratique, la nationalisation partielle. L'Angleterre vient de s'y mettre. L'Espagne de son côté lance un fond de rachat d'actifs. Mine de rien, il y a là une question centrale : si le problème des banques est la liquidité, alors le rachat d'actifs, à la mode Espagnole-plan Paulson, est la méthode appropriée. Si le problème est la solvabilité, alors, il faut recapitaliser les banques, et c'est le plan britannique qui est adapté - tout comme le mode de sauvetage de Dexia. Sachant qu'il faut en pratique faire les deux : la question est de savoir ce qui est prioritaire.

Un grand nombre d'économistes se sont déclarés favorables à diverses variantes de la recapitalisation / nationalisation des banques, et opposés au plan Paulson.

Cette solution est basée sur l'idée que si le système bancaire se "gèle", les entreprises ne pourront plus se financer et l'économie en pâtira. Je crains qu'il y ait beaucoup de confusions entre monnaie et capital à ce sujet.

Le deuxième argument qui est avancé est que les banques seraient sous-capitalisées. Mais elles le sont au regard de la taille du marché actuel, qui est à mon avis tout sauf "normale". Le secteur financier est hypertrophié et le problème n'est pas tant un manque de capital qu'une activité financière qui a enflé et s'est transformée en rent-seeking à somme nulle.

Il FAUT donc des restructurations bancaires, et une réduction de la taille du marché. La recapitalisation / nationalisation n'aidera certainement pas ce processus. Après une période où les Américains n'ont pas épargné, il serait absurde de gaspiller de précieuses ressources en capital dans le secteur financier.

Sans compter qu'il y a une part d'angélisme à croire qu'une finance nationalisée serait plus sage et plus raisonnable que Wall Street...

Minsky "Stabilizing an unstable economy"

Source : Salon de lecture chez econoclaste
En mai dernier, Amazon a expédié mon exemplaire de ce livre. Il était épuisé, et a été réédité sans doute en raison du véritable engouement qu'il suscitait. La thèse de Minsky est en effet que les marchés financiers sont intrinsèquement instables, et engendrent des bulles spéculatives suivies de crises. Ces instants d'euphorie irrationnelle ont été baptisés "Minsky moment".

J'aimerais savoir ce qu'en pensent les connaisseurs, notamment en comparaison avec la théorie autrichienne du cycle économique.

J'ai trouvé deux références sur econoclaste :
- la note de lecture sur D'un krach à l'autre de O.Brossard
- les deux billets de Stéphane sur Les keynésiens : une grande famille...

Ce n'est pas moi qui parlerai le mieux de Minsky, mais voici ce que j'ai retenu :

1) La Financial Instability Hypothesis : les investisseurs peuvent être classés en hedge (pépère), speculative et ponzi (pyramide) selon qu'ils remboursent tous les mois : plus que, exactement, ou moins que le montant des intérêts resp. Pour ces derniers, la rentabilité de l'opération est suspendue à la plus-value qu'ils comptent bien réaliser. Mais, comme on le voit en ce moment...

2) Les institutions financières capitalistes encouragent les comportements spéculatifs en permettant l'émission de crédits, ce qui fait monter le prix des actifs, ce qui permet d'émettre de nouveaux crédits etc.

3) Ce mécanisme spéculaire ou réflexif (Orléan, Dupuy) est basé sur l'idée suivante :
- la demande de certains biens (le beurre) est basée exclusivement sur leur utilité à des fins de consommation
- pour d'autres (les actifs financiers, l'immobilier, la monnaie), la demande d'un individu est fonction de sa perception et/ou de son anticipation de la demande des autres personnes de la société, d'où la circularité évoquée en 2).

4) Etonnamment, Minsky est souvent critique à l'égard du Big Government qui effectue des transferts au sein de la population (redistribution). En revanche, il se félicite que Big Government vienne à la rescousse de l'économie en s'endettant pour éviter la déflation en période de dépression.

5) Pour éviter la formation de bulles et de "spirales inflationnistes", il préconise une politique fiscale dont j'ai oublié les détails, et une dose homéopathique de contrôle des prix.

J'ai bien apprécié le livre de Minsky, il décrit bien la psychologie moutonnière des spéculateurs, etc. Mais j'ai cependant de fortes réserves pour les raisons suivantes :

- Il associe capitalisme et banque à réserves fractionnaires. De là il conclut que les "institutions capitalistes" sont foncièrement instables. Ben oui, sauf que justement la banque à réserves fractionnaires, telle qu'elle existe aujourd'hui, est le fruit d'une longue histoire d'interventionnisme étatique et pas une "innovation" du marché. Minsky en rajoute une couche sur le thème "le crédit est le poumon de l'économie", je n'insiste pas... Bref pour lui la banque créatrice de monnaie est une institution typiquement capitaliste, et le ver est dans le fruit!

- Il fait souvent des raisonnements basés sur les taux d'intérêt, dans lesquels il est facile de se tromper (Tyler Cowen).

- Mais le plus grave est ceci: l'idée de spécularité, de réflexivité, est assez banale. Ce qu'elle dit c'est que pour nous former une opinion sur la valeur (subjective) d'un actif, nous avons besoin de spéculer sur l'opinion des autres. Quand on achète une maison ou une action, en effet, on se demande combien on pourra les revendre, alors que ce n'est pas le cas avec une motte de beurre. Le temps que toutes les opinions s'ajustent les une aux autres, les marchés d'actifs à long terme convergent donc moins bien que le marché du beurre, par exemple. C'est une bonne explication, et je veux bien croire que c'est un facteur d'instabilité. Même en période d'hyperinflation, il y a rarement une bulle spéculative sur le beurre ;-)

Mais le raisonnement est bien court, car :

1) Qu'est-ce qui nous dit que le marché ne converge pas? il peut très bien parvenir à "l'équilibre" plus lentement mais y parvenir quand même (cf. expériences de Vernon Smith)

2) Si des propriétaires d'actifs à long terme échangeant librement entre eux sont incapables de découvrir un prix stable, qui le peut? Minsky? le Ministère des Finances?

3) Pourquoi ne pas commencer par reconnaître que la nationalisation de la monnaie est un facteur déstabilisateur dans ce contexte, et qu'il faudrait commencer par là?

4) Il néglige totalement la partie la plus sophistiquée de la théorie hayékienne, à savoir le mal-investissement, en se limitant à la notion de sur-investissement. Dès lors, son analyse des conséquences sur "l'économie réelle" est très partielle.

5) Sa vision du public choice me semble assez naïve.

Pour aller plus loin, on peut écouter la 16ème conférence Hyman Minsky de Bard College, disponible ici : [www.levy.org]

Le "sur-investissement" chez Hayek

Source : Salon de lecture chez econoclaste
Suite à une discussion à côté, je vais essayer de formuler une présentation sommaire de ce que je comprends de la théorie à mon avis assez mal nommée du sur-investissement chez Hayek.
Je pense qu'il vaut mieux parler de "mal-investissement". C'est d'ailleurs le terme employé par Mises. D'où viennent ces erreurs d'investissement?

Une spécificité de l'approche autrichienne est de décomposer les agrégats macroéconomiques. La vision ultra-caricaturale de la macro avec K et L permet de mettre en évidence un surinvestissement, mais pour voir le mal-investissement, il faut distinguer différents marchés, c'est-à-dire décomposer le marché du travail et le marché des biens capitaux.

Cette décomposition s'appuie sur la structure de la production construite par Böhm-Bawerk (détours de production) et poursuivie par Hayek (triangle hayékien). L'exemple classique est que pour vendre une voiture il faut les étapes suivantes :
- exploitation minière
- fabrication d'acier
- conception de la voiture, R&D
- usinage et assemblage
- distribution

Si on simplifie, on peut voir ça comme une succession d'étapes 1>2>3>4>5. En réalité c'est plus compliqué puisqu'une étape peut alimenter plusieurs marchés. Knight faisait remarquer très justement que l'acier est utilisé pour l'extraction du charbon, et le charbon est utilisé pour produire l'acier. Mais la structure 1>2>3>4>5 suffit pour comprendre ce qu'est le malinvestissement.

Ces processus de production nécessitent
1) du capital
2) du temps
et leur efficacité économique dépend donc d'un "équilibre" intertemporel. Si on investit trop de ressource en amont dans la R&D, et qu'on invente des tas de modèles de voiture, il n'y a pas assez de ressources dans l'économie pour les produire toutes. Si l'on se lance dans des projets à trop long terme, cela ne correspond pas aux préférences temporelles des individus. L'expansion monétaire fausse cet agencement inextricable de relations.

Mises donne une image très parlante :

Imaginez que l'économie soit capable de produire, en l'état actuel de la technologie, 5 maisons par an. Mais sous l'effet d'une production monétaire incontrôlée, les gens ont l'impression que plus de capital est disponible dans l'économie. 7 ménages s'endettent au lieu de 5, et commencent à construire les fondations de leurs maisons. La demande de ciment, de bulldozers et de main d'oeuvre correspondante attire les ressources de l'économie vers le marché N°1. Lorsque le processus de production arrive à l'étape N°2, encore plus de ressources sont nécessaires pour bâtir les murs des 7 maisons, et cette demande accrue commence à faire monter les prix et engendre une pénurie de ressources pour les marchés suivants. Lorsque les ménages arrivent à un certain stade, les prix de la peinture, ou des tuiles, etc. ont atteint un niveau tel qu'ils ne peuvent pas compléter toutes les maisons. Ils ont buté sur la frontière de production de l'économie, qui n'était pas capable de produire 7 maisons mais 5. Il en résulte que seulement 3 maisons sont complétée, et 4 restent à moitié construites.

L'expansion monétaire a donc eu les effets suivants :
- déformer les prix sur les différents marchés
- attirer trop de ressources de l'économie (capital, main d'oeuvre) vers certains secteurs (bulle)
- lancer des projets qui ne sont pas cohérents avec la frontière de production de l'économie et les préférences temporelles des individus (il faudra plus qu'un an pour compléter les 4 maisons restantes)
- provoquer une réconciliation tardive et plus ou moins brutale des projets avec la réalité (bust...)

La meilleure présentation du sujet est celle de Roger Garrison dans "Time and money". Mais je recommande la démarche suivante : télécharger ses slides et les visionner tout en écoutant son commentaire audio qui est synchronisé.

Les slides sont ici :
[www.auburn.edu]

et l'audio ici :
[mises.org]

L'exemple des maisons est illustré ici :
[www.auburn.edu]

Aglietta sur la crise financière

Source : Rationalité limitée
Il faut écouter ce podcast d’une discussion entre Martin Wolf et John Kay, signalé il y a quelques jours par Econoclaste.
Une petite phrase dans le podcast de Martin Wolf a attiré mon attention :

Those institutions who provide liquid deposits - that is, those institutions who are allowed to pretend that their liabilities are REAL money - a ludicrous business, by the way, but I won’t go into that - those institutions should be allowed to invest only in a limited range of liquid, first class assets.

1) Je pense que la transformation n’est pas (ou ne devrait pas être) le vrai métier des banques, et je suis surpris de trouver cette petite remarque venant d’un journaliste de l’establishment.

2) Les banques centrales font exactement ce qui devrait être interdit aux “institutions” selon M.Wolf, puisque depuis 1 an elles n’ont cessé d’accepter des collatéraux de plus en plus pourris et de moins en moins liquides.

Sinon les remarques de John Kay sur le “regulatory creep” (comment on traduit?) et la capture réglementaire sont très bien vus, avec notamment l’exemple des compagnies aériennes aux US.

Keynes, la confiance et le Chapitre 12 de la Théorie générale

Source : Rationalité Limitée
La valeur d’un titre (d’une action) ne dépend pas tant des fondamentaux de l’entreprise qui l’émet (sa profitabilité) que de ce que les autres se font comme opinion sur cette profitabilité. Comme ce raisonnement est connaissance commune, la valeur d’une action est en fait largement fonction de l’idée que chacun se fait de l’opinion d’autrui sur le titre, qui elle même est fonction de ce que l’autre pense de ce que je pense. Comment expliquer alors que les cours des titres ne varient que dans des proportions raisonnables ? Pour la même raison que pour le concours de beauté. Les agents vont appuyer leurs réprésentations et croyances sur des conventions financières, qui sont constituées d’un ensemble de critères à partir desquels chacun pense que les autres fondent leur opinion. Si je crois que tout le monde s’appuie sur ces conventions et que j’ai de bonnes raisons de penser que les autres pensent que je m’appuie sur ces conventions, alors j’ai effectivement intérêt à m’y conformer… et la situation se stabilise autour d’un point focal. C’est à ce stade que la confiance fait son apparition. On voit facilement à quel point l’équilibre est instable.
Existe-t-il un terme en économie (néoclassique) pour désigner une fonction d’utilité qui ne dépend que de l’individu et de sa dotation d’un bien? A contrario, comment désigner le cas où nos préférences dépendent de ce que font les autres?

Il me semble que le deuxième cas est universel : nos préférences ont une part spécifiquement individuelle, et une part de mimétisme (spéculaire, réflexive…). On ne peut pas opposer les deux. Sauf peut-être pour la monnaie, dont l’utilité individuelle est nulle. Seul sur son île, que ferait Robinson d’un euro (sans fonction métallique)? La valeur de cette pièce aux yeux de Robinson dépend exclusivement de la demande des autres individus dans la société, c’est-à-dire de sa fonction d’intérmédiaire dans les échanges.

Les bulles spéculatives semblent souvent liées à la part de mimétisme, à un “effet de mode” comme par exemple pour les oeuvres d’artistes contemporains. Or le mimétisme est présent dans tous les biens, et pourtant les bulles ne se produisent pas partout. Il semble clair, en revanche, qu’elles peuvent être déclenchées par une expansion de la masse monétaire.

D’où cette question que j’avais posée dans la chatbox d’econoclaste :

Existe-t-il un exemple historique de bulle d’actifs non consécutive à une expansion monétaire?

On peut déjà rayer les dotcoms, la bulle immobilière récente, mais aussi la Bourse dans les années ‘20. Je pense que le télégraphe dans les années 1860 et le chemin de fer dans les années 1880 ne sont pas candidats non plus. Pour la tulipmania de 1650, ça reste à voir. D’autres candidats?

Changement de style

Ce blog étant très peu actif (quasiment mort à vrai dire) j'ai décidé de tenter une expérience. J'écris régulièrement des commentaires sur d'autres blogs, qui donnent parfois lieu à des débats. Je reprendrai ici ceux qui me semblent les plus intéressants.