17 novembre 2008

La prévision est un art difficile

Elvin écrit :
Je tombe sur ce clip de 2006 en anglais où un gars qui a le tort (?) d'être conseiller de Ron Paul prédit et explique très exactement la crise des subprimes. Revoir ça maintenant est très cruel pour son contradicteur, qui n'est autre que Arthur Laffer. On s'aperçoit maintenant que c'est Schiff qui avait raison, et Laffer qui avait doublement tort, sur le fond et en se permettant de le prendre de haut et de traiter Schiff comme un minus. Comme quoi être un économiste célèbre n'empêche pas de dire des conneries ...
Alexandre Delaigue réagit :
Je reste sceptique sur la démonstration, à plusieurs niveaux. Premièrement, Laffer n'est certainement pas inscrit dans le mainstream mais dans une vision économique "vaudou" dans laquelle baisser les impôts s'autofinance toujours, dans laquelle l'enrichissement d'un pays se mesure par rapport à l'or, et dans lequel la hausse du prix des maisons est un enrichissement net pour la société. N'importe quel économiste mainstream (j'aurai envie de dire : n'importe qui qui sait compter) peut comprendre que c'est un énorme tas de conneries. Dans ces conditions, faire mieux que Laffer n'est pas très difficile - ce qui est le cas ici; cela n'empêche pas Schiff de dire aussi de sacrées conneries sur le fait que les femmes travaillent, sur l'appréhension du déficit extérieur, sur la consommation pas bien et l'investissement bien. 

Autre chose : annoncer qu'un certain jour il va y avoir une récession, n'importe qui peut le faire, moi le premier : à la base, les économistes fluctuent. La version autrichienne explique ces fluctuations beaucoup trop à mon avis par les politiques (ce qui aboutit à oublier que l'ère de l'interventionnisme macroéconomique a été globalement plus stable que l'ère sans l'interventionnisme) et sombre trop souvent dans la "hangover theory" selon laquelle les récessions c'est génial et qu'on ne devrait jamais rien faire contre. 

Et de toute façon, soyons clair : la prévision économique est impossible, précisément ce que n'importe quel autrichien conséquent devrait savoir. Dans ces conditions, dire que machin a fait une meilleure prévision que truc, qui que soient machin et truc, n'a strictement aucun sens. Statistiquement il y aura toujours des gens qui feront de bonnes prévisions. Tenez, moi aussi, j'en fais de bonnes : j'avais annoncé dans libé que Lehman serait la prochaine après Bear, et ce il y a 6 mois. Je peux sélectionner dans les posts du blog et prouver à l'humanité entière que je suis un prévisionniste de génie. 

Sauf que je fais aussi des prévisions fausses, et que c'est normal; et que je ne recommanderai jamais, à personne, de suivre mes prévisions, parce que lui comme moi, comme tout le monde, est incapable de faire la part entre les bonnes et les mauvaises. Au milieu de 2007, j'ai écrit un chapitre entier dans un bouquin pour décrire le système de Bretton Woods 2, le shadow banking system, et la stabilité économique et financière qui en résultait. Je peux me rattraper comme je veux, en disant qu'à l'époque j'exprimais des interrogations, si je suis honnête, je dois dire que je me suis grave planté. 

Et c'est normal : quand on fait des annonces d'avenir, statistiquement, il est impossible d'avoir toujours tort (sinon cela signifierait qu'on est un prévisionniste exceptionnel, par défaut :-) ); et le fait d'avoir raison une fois ne signifie rien.
Gu Si Fang écrit :

Cette vidéo est incroyable. Dans la dernière postée par AD tout le monde conseille d'acheter du Nasdaq et des financières et prédit un rebond de l'immobilier sauf Schiff. J'étais scotché à mon fauteuil! Pourquoi se sont-ils trompés? 

Leur démarche intellectuelle (pour peu qu'ils en aient une, mais c'est au moins le cas de Laffer) n'est pas la même que celle de Schiff. Ils ne posent pas la même question. Ils se demandent : qu'est-ce qui va arriver l'an prochain? alors que Schiff, derrière ses prévisions exactes, est parti d'une question totalement différente : qu'est-ce qui se passe nécessairement lorsque la banque centrale crée de la monnaie? Partant de cette méthode dite "causale réaliste", les autrichiens dont Schiff s'inspire arrivent la conclusion qu'il doit y avoir une bulle, que cette bulle DOIT nécessairement exploser, et ils décrivent les différents scénarios possibles. Mais rien de tout ceci n'est quantitatif. Ils ne peuvent pas prédire ce qui se passera l'an prochain. 

Rien de tout ceci ne transparaît dans la vidéo. Les journalistes veulent des prédictions, et Schiff donne sa prédiction. Mais l'on pourrait lister à l'infini les prédictions exactes des économistes autrichiens (voir ci-dessous), cela ne permettrait pas de savoir si ils ont raison ou non. La seule façon de le faire est de se poser la même question qu'eux, et de voir si la réponse qu'ils apportent peut être contestée. Lire les prédictions des uns et des autres et comparer au cours des événements ne permet PAS de décider qui a raison. 

Comment décider, alors? Comme je l'ai dit, il faut commencer par ingérer la méthodologie autrichienne et son application à la théorie du cycle. Alors seulement, on peut se faire une idée de sa justesse, indépendamment des autres approches. 

J'insiste sur le "indépendamment" qui pourra en étonner certains, car la théorie autrichienne n'est pas aussi contradictoire avec les théories les plus répandues qu'on veut bien le dire. Une grande part de l'économie contemporaine est en accord avec elle : mêmes questions, mêmes réponses. Mais la plupart du temps, il n'y a pas contradiction tout simplement parce qu'ils ne parlent pas tout à fait de la même chose : questions différentes, et donc réponses différentes. Enfin, il y a des cas où l'économie autrichienne, à une même question, apporte une réponse différente du courant dit "mainstream". 

Le minimum syndical me semble être contenu dans ces quatre petits livres : 
Economic Science and the Austrian Method de Hoppe est la première chose à lire (méthodologie) 
What Has Government Done to Our Money? de Rothbard pour la théorie monétaire 
Austrian theory of the trade cycle and other essays avec des articles de Mises, Haberler, Hayek, Rothbard et Garrison sur l'ABCT 
Deflation and Liberty de Hülsmann, dont le chapitre VII décrit les scénarios possibles pour la suite... 

Des compléments utiles : 
The Philosophical Origins of Austrian Economics de Gordon, à ne pas négliger 
The Ethics of Money Production de Hülsmann pour voir un exposé sur la monnaie plus académique que Rothbard 

Liste indicative des "prédictions" du Mises Institute entre 2003 et 2006 : 
Housing Bubble: Myth or Reality? by Frank Shostak on 3/4/2003 
Mr Bailout by Antony Mueller on 9/30/2004 
America's Unsustainable Boom by Stefan Karlsson on 11/8/2004 
Sowing the Seeds of the Next Crisis by Thorsten Polleit on 4/25/2006


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