23 janvier 2008

De l'urbanisme aux normes de qualité

En Asie du Sud-Est, la corruption des décideurs permet de construire ce qu’on veut , où on veut, à condition de graisser la patte des bonnes personnes. La conséquence sur l’architecture est que, dans la pratique, le promoteur a toute latitude sur le cahier des charges. Ainsi, dans les grandes métropoles où le marché est dérèglementé (Djakarta, Manille), on observe un urbanisme anarchique, un paysage urbain destructuré et globalement très laid à l'aune de nos critères européens. Imposer un cahier des charges strict aux promoteurs peut sembler contraignant à court terme. Mais l'unité architecturale qui en résulte valorise à long terme le patrimoine immobilier, car chaque immeuble bénéficie de la qualité des autres. Une variante de la théorie des externalités.

Sur les normes de construction, c’est pareil. Si le promoteur ne les respecte pas (parce qu’elles n’existent pas ou parce qu’il peut les contourner sans risque), cela ne changera rien à son prix de vente, car il s’agit de normes très techniques incompréhensibles pour l’acheteur lambda qui sera incapable de juger un bien en fonction de ces critères. Ce dernier risque de subir ensuite un préjudice au cours de la jouissance de son bien, mais sans qu’il ait pu négocier au départ une baisse correspondante du prix de vente. C’est le problème classique d’asymétrie de l’information entre un vendeur professionnel et un acheteur non professionnel. La seule manière de protéger ce dernier est d’imposer une réglementation et des normes au vendeur promoteur.

Enfin si on laisse le marché foncier entièrement libre, on se retrouve avec des logements construits en zone inondable, volcanique, sujette à glissement de terrain ou autres délicieux vices cachés qui un jour ou l’autre se révèlent catastrophiques. Dans ces cas, c’est en général l’acheteur crédule qui trinque et non le promoteur sans scrupules. Et sans même rentrer dans ces considérations morales, ce n’est pas économiquement optimum pour le pays dans son ensemble de laisser se développer une vulnérabilité excessive aux risques naturels.

Sur les normes et les risques je n'y crois pas du tout. Les normes sont devenues en pratique une méthode de lobbying de certains secteurs de l'industrie, parce qu'elles permettent de vendre leurs produits ou bien interdisent l'entrée de concurrents. Elles sont bien sûr présentées comme étant dans l'intérêt du consommateur. Mais le consommateur est beaucoup moins idiot qu'on le croit. Lorsqu'un problème d'asymétrie d'information existe vraiment (car c'est souvent un fantasme), les producteurs mettent en place des labels de qualité permettant de garantir le sérieux du vendeur. Il y a une raison simple à cela : ça leur permet de vendre leur produit plus cher, en éliminant l'asymétrie d'information.

Les labels ne sont crédibles que s’ils sont émis et gérés par des autorités indépendantes. Dans l’idée, on n’est plus très loin des normes règlementaires…

Une norme réglementaire est imposée au consommateur, tandis qu'un label de qualité est choisi par lui. Choix vs coercition. Certes, il existe des labels bidon dont le but est de tromper le consommateur, mais je ne pense pas qu'ils puissent avoir un effet significatif et durable. Le label est lui-même un produit, et est donc soumis à la saine concurrence d'autres labels meilleurs que lui. Ce n'est pas le cas des lois.

Il est surprenant d’entendre que l’asymétrie d’information serait souvent un fantasme, alors qu’elle est présente dans pratiquement 100% des transactions tous secteurs confondus.

Il y a un point sur lequel je suis absolument d'accord : je ne peux pas citer une seule décision dans ma vie que j'aie prise en disposant de toute l'information. Toute action est incertaine, et l'information permet de réduire l'incertitude mais pas complètement. L’information est donc un produit (ou un service, comme on préfère) qui a une vraie valeur pour le consommateur, mais aussi un coût. Ce marché fonctionne comme les autres, avec des entrepreneurs qui détectent une opportunité de profit (les agences de rating, les cabinets d'expertise, etc) et des clients qui choisissent le produit qui correpond à leur besoin. Mais on a tendance à traiter l'information comme un produit différent des autres, qui ne coûterait rien, et dont on n'aurait jamais assez. L'Etat devrait donc intervenir pour que le consommateur ait toujours plus d'information. Comme pour les autres produits, cette démarche a plusieurs inconvénients : 1) la qualité de l'information en question est choisie par l'administration, elle a tendance à se focaliser sur des aspects quantitatifs qui ne sont pas nécessairement ceux que le consommateur valorise le plus, 2) si on force les producteurs à fournir trop d'information, cela finit par coûter cher, et 3) le jugement des consommateurs s'émousse, car ils perdent l'habitude de faire jouer la concurrence, "achètent" contraints et forcés l'information définie par la loi, et ne s'informent pas assez sur les produits qu'ils achètent. On se retrouve donc avec un résultat contraire à ce qui était recherché : des produits trop chers et qui ne correspondent pas à nos besoins.

Dans le cas des voitures, c’est un bel exemple dont on peut faire l’expérience : on sort de chez le concessionnaire avec une belle voiture neuve, et 5 minutes plus tard elle a déjà perdu 15% de sa valeur s’il nous vient la fantaisie de vouloir la revendre immédiatement. La seule explication de cette aberration, c’est que perdre l’étiquette « voiture neuve » introduit une asymétrie d’information qui, dans ce cas, joue en défaveur du vendeur.

Le but étant de revendre sa voiture le plus cher possible, on a plusieurs options pour faire une bonne vente. On peut la faire expertiser. On peut proposer à l'acheteur de lui offrir l'expertise par le cabinet de son choix. On peut même proposer à l'acheteur une garantie de reprise du véhicule avec remboursement intégral. La garantie constructeur peut être transférable du vendeur à l’acheteur, et que sais-je encore. C'est l'intérêt du vendeur de supprimer l'asymétrie d'information, et il peut le faire. La question est : peut-il le faire pour un coût modique ? Par exemple, peut-il convaincre l'acheteur pour moins de 500 euros que la voiture est en parfait état ? Réponse : oui, et c'est ce qui se passe. Ca n'est pas pour dire que tout les vendeurs sont honnêtes, ce serait naïf. Mais lorsqu'il existe une asymétrie d'information sur un marché, qu'elle persiste, et qu’aucun entrepreneur ne vient l'éliminer, on peut parier que c'est parce qu'elle a assez peu de valeur pour les acheteurs. C'est le cas pour certaines arnaques sur les baladeurs MP3 sur eBay, par exemple, qui sont hackés pour que la mémoire affichée à l'écran soit plus grande que la réalité.

21 janvier 2008

Crise du logement

Quelles sont les lois qui raréfient l'offre de logement en France ?

La liste est longue et ancienne :

- plafonnement des loyers par diverses méthodes plus ou moins « violentes » (principalement les lois de 1914 puis de 1948 puis Quillot 1982) ce qui a pour effet de baisser la rentabilité du locatif et donc de réduire mécaniquement l'investissement

- la protection obligatoire des locataires, même indélicats (toujours Quillot 1982) qui a les mêmes effets que le plafonnement des loyers

- les normes (surface, sanitaires, phoniques, thermiques) qui augmentent le coût et interdisent de louer une chambre de bonne de moins de 9m² mais autorisent de dormir dans une tente de 2m² :-(

- le secteur social qui représente déjà 1 résidence principale sur 6, et qui continue de croître « pour combler le retard » (loi SRU de 2000) alors qu'il sera toujours structurellement en pénurie (puisqu'il doit être loué en-dessous du marché, sinon il ne serait pas social)

- et surtout (surtout) la stérilisation du foncier (code de l'urbanisme, PLU, autorisations préfectorales, permis de construire etc.) qui raréfie inutilement cette ressource précieuse, contribuant largement à la formation de bulles spéculatives locales

A côté de tout cela, on trouve une succession de lois « incitatives » (Périssol, Robien, Besson, Borloo) qui essaient de contrecarrer les effets précédents. Mais, dira-t-on, on n'empêche pas la construction, on l'encourage même par ces incitations fiscales! N'est-ce pas un contre-exemple flagrant? Que nenni! Grâce à ces subventions, nous réussissons l'exploit d'avoir un surinvestissement à certains endroits et sous-investissement ailleurs. Il est même parfaitement concevable d'être en situation de pénurie tout en ayant un surinvestissement global. En effet, le nombre de logements n'est pas le seul critère. Si les logements construits ne répondent pas aux besoins (notamment de localisation) des clients, leur prix de vente sera inférieur à leur coût de construction (subvention comprise). C'est-à-dire qu'on aura beaucoup investi, mais une partie de ces investissements sera perdue, d'où la pénurie.

Dans le genre pire que nous, on peut regarder nos voisins d'outre-Manche. Baladez-vous autour de Londres sur Google Maps (option satellite) et vous verrez de nombreuses zones pavillonnaires relativement peu denses. Une petite maison dans un bon quartier (Kew) à 25km de la City peut se louer 3000 euros par mois. Comme par hasard, l'immobilier est un des rares secteurs à n’avoir pas été déréglementé dans les années 1980. Le Town and Country Planning Act (sic) instaure des ceintures vertes autour des grands villes et empêche la construction d'immeubles plus denses. Or il suffirait de relativement peu de constructions pour faire baisser fortement les prix (faible élasticité de la demande).

Quel est l'effet de ces lois? Elles créent de la pénurie : nous avons moins de m², moins bien situés et moins beaux que ce que nous devrions avoir. Et, par l'intermédiaire du marché immobilier, elles effectuent un transfert de richesses allant des nouveaux entrants vers les déjà-propriétaires. Comme pour les licences de taxis, par exemple.

Pourtant, l'offre semble actuellement assez abondante, puisque les promoteurs sont en train de réduire leur production. Et les invendus ne sont pas que dans les petites villes où il n'y avait pas de marché au départ...

Dans certains zones hyper-demandées et hyper-contraintes, les prix se sont envolés sous l'effet de la baisse des taux en 2003 et de la faible élasticité de la demande. Nous assistons donc à l'éclatement de ces bulles. Même aux US, la bulle est localisée. Vu de loin on a l'impression que tout le marché s'est emballé, mais c'est loin d'être le cas.

L'éclatement de ces bulles révèle donc la vraie nature de certains mauvais investissements. Quand les coûts de construction ont été élevés et que le marché se retourne, les promoteurs ne savent pas encore combien ils vont perdre d'argent. Plutôt que de baisser massivement leurs prix pour écouler le stock, ils baissent petit à petit en espérant trouver l'équilibre. En attendant, certains programmes restent avec des invendus sur les bras.

« moins de m² », je veux bien; mais « moins bien situés et moins beaux », ça reste à prouver. Nous payons la « muséification » de Paris, il me semble. On n'a rien sans rien. Si vous déréglementez, vous aurez des grandes tours au-dessus de Saint-Germain-des-Prés.

Je constate souvent qu'il est difficile de convaincre mes amis de déréglementer complètement la construction à Paris. Essayons quand même! En général, leurs certitudes se lézardent dès qu'on aborde deux points :

1) Les programmes de constructions planifiés par la collectivité sont laids. Et si vous pensez que c'est de l'histoire ancienne, jetez donc un coup d'oeil aux programmes en cours.

2) Si on regarde les incitations dans les deux cas de figure, elles sont totalement différentes. Le programme public de logements sociaux doit faire du quantitatif sous contrainte budgétaire. C'est en gros le cahier des charges qui est donné aux architectes. La valorisation patrimoniale n'est pas un critère important, car les HLM sont rarement conçus pour être vendus.

Le promoteur, à l'inverse, doit faire un produit qui maximise peu ou prou son profit. Pour cela, il vaut mieux qu'il soit beau et perçu comme un bon placement patrimonial à long terme, car c'est un critère important pour les acheteurs.

La différence entre programme public et promoteur privé, c'est donc que le promoteur a une incitation à construire quelque chose d'assez beau pour pouvoir le vendre. La meilleure façon de faire monter la qualité esthétique des constructions privées, c'est la concurrence entre promoteurs, et non la réglementation des façades. Personne n'a réglementé le design de l'iPhone, que je sache!

Evidemment, si une commune ou un arrondissement était la seule à libéraliser son marché immobilier, alors que tout le reste du marché reste sous contrainte, on y verrait pousser les tours comme des champignons. Il faut donc que tout soit déréglementé simultanément (via l'abrogation des lois en question) afin qu'on puisse tendre vers un équilibre entre la densité des logements et leurs qualités esthétiques. Je ne pense pas que la densité augmenterait beaucoup. Encore une fois : la demande est très peu élastique, c'est-à-dire que 1% de logements en plus feraient baisser les prix de beaucoup plus que 1%.


[Ajout]

C'est vrai pour les maisons individuelles, qui reflêtent l'ame de leur propriétaire. Mais pour les immeubles collectifs, tout indique au contraire que pour les propriétaires, ce qui compte, ce n'est pas ce qui se voit, c'est ce qui ne se voit pas (l'intérieur, auquel toutes les ressources sont réservées). Il suffit de penser aux réglementations forçant les propriétaires à entretenir leurs façades. Si on est dans une ville qui a des immeubles avec cour intérieure, lorsqu'on rentre et qu'on voit l'intérieur qui n'est pas soumis à réglementation, c'est le choc : on croirait voir un taudis alors qu'à l'extérieur c'est un bel immeuble bourgeois avec des médecins, des avocats... La concurrence pousserait les promoteurs à minimiser les couts qui sont peu importants pour leurs clients. Soit dit en passant, la bourgeoisie a toujours réglementé la construction, dès le moyen-âge (voir les magnifiques villes de l'Est de la France : ce n'est pas spontanément que toutes les maisons ont le même style 'typique', les propriétaires étaient contraints et forcés). Et aux USA, j'ai lu que le même genre de marché profondément réglementé rêgne dans tous les quartiers huppés sans même parler des quartiers fermés qui sont de véritables entreprises où tout ce qui concerne l'apparence est contrôlé par le rêglement intérieur.


Dès qu'on voit un un résultat qui est bien foutu, beau, efficace, etc. on ne peut s'empêcher de penser qu'il a été pensé au départ. L'idée que quelque chose d'organisé puisse surgir du désordre du marché nous dépasse. C'est le syndrôme de l'intelligent design.


12 janvier 2008

Quelques erreurs d'Adam Smith

1) La valeur travail

Pour Adam Smith, la richesse économique provient de façon tout à fait explicite du travail et non du capital. C’est la division du travail et le surtravail que le salarié réalise au profit du capitaliste qui génèrent la valeur ajoutée de l’entreprise […] Source de toute richesse, le travail apparaît ainsi comme le seul moyen de comparer les biens, d’en mesurer le prix. C’est la théorie de la valeur travail, par laquelle débute l’ouvrage fondateur du libéralisme : « Le travail est donc la seule mesure réelle de la valeur échangeable de toute marchandise. »

Ce passage rassemble en quelques phrases à peu près toutes les erreurs qu’a commises Adam Smith sur la notion de valeur. Le problème de la valeur est évidemment crucial en économie, et son péché originel a été de vouloir partir d’une notion intrinsèque de valeur (selon cette conception, la valeur d’une chose réside dans la chose elle-même). De plus, il tente systématiquement d’expliquer le prix d’une chose à partir de son coût de production, et en particulier à partir du travail nécessaire pour la fabriquer. Enfin, le travail devient pour lui l’unité de mesure qui permet de quantifier et de comparer les valeurs. L’introduction d’une unité de mesure ouvre la possibilité d’effectuer des calculs. Tous les développements récents de l’économie, qui font un usage immodéré des mathématiques, partent donc de l’idée que la valeur est mesurable. On va voir que c’est un principe très discutable.

A son actif, la valeur travail parvient à expliquer pourquoi un verre d’eau ne coûte presque rien. En revanche, elle n’apporte aucune lumière en ce qui concerne le prix d’un tableau de maître. De même, elle est incapable d’expliquer pourquoi un diamant est beaucoup plus cher qu’un verre d’eau. Et avec la valeur travail, on est encore plus démuni si l’on se trouve dans le désert en train de mourir de soif et que l’on veut céder un diamant contre un verre d’eau ! Cette inversion de valeurs est en effet incompatible avec la notion de valeur intrinsèque. Pressentant ces difficultés, Smith présente le paradoxe du diamant et du verre d’eau, et s’embrouille en tentant de distinguer valeur d’usage et valeur d’échange. Plus tard, Karl Marx repartira sur les mêmes fondations bancales, puisque sa théorie de l’exploitation repose entièrement sur la valeur travail de Smith. Mais toutes ces tentatives d’expliquer la formation des prix par la théorie de la valeur intrinsèque sont un échec patent.

On attribue à trois économistes la paternité de la théorie de la valeur subjective, qui permet de résoudre correctement le paradoxe du diamant et du verre d’eau. Deux d’entre eux – William Stanley Jevons et Léon Walras – introduisirent la notion d’utilité ou de satisfaction des besoins afin de mesurer la valeur d’une chose. L’utilité, ou l’urgence des besoins, étant une donnée très subjective, on comprend que la valeur du tableau de maître puisse être indépendante du travail fourni pour le peindre. De plus, dans le cas où l’on consomme ou possède plusieurs unités d’un bien, l’utilité de la dernière unité est inférieure à celle des précédentes. En effet, chaque unité supplémentaire est toujours utilisée pour satisfaire notre besoin le plus urgent, lequel est par définition moins urgent que ceux satisfaits par les premières unités. Ainsi, le verre d’eau dans le désert est cher parce qu’il satisfait notre besoin de survivre, tandis que le millième verre d’eau dans une ville est bon marché car il satisfait peut-être notre besoin de nous laver les mains.

Même ainsi, la théorie de Jevons et de Walras est moins satisfaisante que celle du véritable père de la valeur subjective : Carl Menger. Ce dernier, en effet, ne tenta pas de mesurer l’utilité ou la satisfaction. Dans sa théorie, la notion de valeur n’est pas une grandeur cardinale qui se réfère à un état psychologique, mais une notion relative. C’est l’importance relative du bien X par rapport au bien Y qui fait que, en un lieu et à un moment donnés, un individu préfère X à Y. En dehors des circonstances où un individu agit pour choisir X plutôt que Y, il est impossible de dire lequel des deux biens a la plus grande valeur. En particulier, on ne peut pas comparer la valeur d’un bien pour deux personnes. Mais nous sommes tellement influencés par le système des prix qu’il faut un peu de temps pour s’en convaincre.

Parmi les précurseurs de la théorie de la valeur subjective, on peut noter les scholastiques de l’école de Salamanque, et surtout l’abbé Etienne Bonnot de Condillac. Dans son Traité du commerce et du gouvernement, publié en 1776 – la même année que l’ouvrage de Smith ! – Condillac en avait déjà posé les bases. Menger s’inspira de Condillac pour bâtir un système qui corrigeait les errements de Smith en introduisant la subjectivité et le marginalisme. De plus, Menger se distingua de l’approche de Jevons et Walras – ainsi que de la plupart des économistes contemporains – en évitant d’introduire dans son système une quelconque mesure de la valeur.

Lorsqu’on prend en compte les trois caractéristiques de la valeur identifiées par Menger, la théorie de l’exploitation de Marx s’effondre. En effet, la relation entre l’employeur et le salarié étant vue comme un échange, les deux parties sont nécessairement gagnantes dans l’opération. L’employeur démontre en embauchant le salarié que le travail fourni par ce dernier a plus de valeur que son salaire. Mais il s’agit de la valeur comparée du travail et du salaire, valeur qui n’a de sens que pour cet employeur au moment où il prend la décision, et non d’une quelconque valeur intrinsèque de ce travail. Le salarié a la préférence inverse : pour lui le salaire qu’il reçoit a plus de valeur que la peine qu’il subit en travaillant. Pourtant personne ne songerait à dire qu’il exploite son employeur parce qu’il reçoit de lui plus qu’il ne donne ! Certes, le travail est toujours plus ou moins pénible : le salarié doit donner quelque chose pour recevoir un salaire, de même que l’employeur doit le payer pour recevoir son travail. C’est le principe même de l’échange que d’être obligé de donner quelque chose pour recevoir en retour.

Toute approche de la valeur par les coûts, telle que la théorie de la valeur travail, passe donc à côté du caractère essentiel de la valeur, à savoir sa subjectivité. C’est comme si un élève disait à son professeur qu’il mérite un A parce qu’il a passé 5 heures sur son devoir. Quiconque a déjà corrigé des copies sait que leur valeur n’a souvent rien à voir avec le temps passé dessus. Mais l’analogie s’arrête là car les copies peuvent être notées sur 20, ce qui permet de les comparer entre elles, tandis que la valeur d’un bien ne peut pas être comparée à celle d’un autre en général. La vision comptable de la production nous induit en erreur car elle rattache à l’objet des coûts quantifiables. Mettons qu’une entreprise industrielle enregistre des coûts de 10000 euros pour produire une voiture, et qu’une autre ait des coûts de 1000 euros pour produire une mobylette. Il est tentant de conclure que la voiture a plus de valeur que la mobylette. Mais pour un écologiste parisien, la mobylette peut avoir une valeur sentimentale ; la voiture peut être un handicap dans les embouteillages, être impossible à garer, sans compter qu’elle contribue au réchauffement climatique. Pour lui, acheter une mobylette pour 2000 euros sera avantageux alors qu’il n’envisagerait jamais de payer ce prix pour une voiture. A la trappe, les coûts de production, dès lors que l’on pense à la valeur subjective.

Pour terminer, il faut tout de même reconnaître qu’il y a un lien entre les coûts de production et le prix de vente. Si tout le monde était écologiste parisien, le constructeur automobile n’aurait personne à qui vendre ses voitures. Mais justement, il s’est lancé dans la construction de ce modèle parce qu’il anticipait qu’il pourrait trouver preneur à un prix supérieur à 10000 euros. Le constructeur a donc déterminé ses coûts en fonction du prix qu’il anticipait. C’est le prix de vente qui lui sert de guide pour calculer ses coûts, et non l’inverse. Imaginez un entrepreneur qui commencerait par mettre en place une ligne de production, puis constaterait ses coûts, et mettrait en vente le produit au coût de production plus une petite marge ! Il serait condamné à la faillite.

En résumé, la référence à Adam Smith est particulièrement trompeuse. Son biais productiviste est clair puisqu’un chapitre de La richesse des nations est intitulé Des parties constituantes du prix des marchandises. La valeur est un sujet sur lequel il s’est trompé sur toute la ligne, au point d’inspirer des générations d’économistes marxistes. Difficile dans ces conditions de voir en lui le père fondateur du libéralisme. En réalité, la valeur du travail, comme de tout autre service ou bien, ne peut être observée que sous forme d’inégalités lors d’un échange. L’employeur, en embauchant un salarié, démontre qu’il valorise son travail plus que le salaire offert. Le salarié démontre qu’il a l’ordre de préférence inverse à l’instant où il signe son contrat de travail. Mais en ce qui concerne les prix de vente, l’entrepreneur doit les deviner. La comptabilité lui permet seulement de s’assurer que son processus de production coûte moins cher que le prix de vente escompté. Ce n’est qu’une fois la production terminée que le processus du marché lui permet de découvrir les valeurs subjectives de ses clients, et de savoir si ses anticipations étaient correctes ou non. Modifier les règles comptables peut-il changer le comportement de l’entrepreneur ? Va-t-il faire appel à plus de salariés et moins de capital si l’on inscrit le « capital humain » à l’actif du bilan ? Pour répondre à cette question, il faut examiner le sujet du capital, et donc de l’intérêt.

2) Le capital et le profit

Avec la concurrence comme moteur de la croissance, l’horizon prévu par le libéralisme est peu équivoque et d’ailleurs fort connu des spécialistes : c’est la baisse tendancielle des profits, énoncée sous diverses formes dans La richesse des nations : « L’augmentation du capital qui élève les salaires tend à réduire le profit. Quand nombre de négociants transfèrent leur capital dans la même branche d’activité, la concurrence qu’ils se font a naturellement tendance à réduire les profits ; et quand le capital augmente du même montant dans toutes les activités menées par la société, la concurrence doit entraîner les mêmes effets. »

Parti sur de mauvaises bases en ce qui concerne la valeur, Adam Smith ne saurait avoir une compréhension correcte de l’intérêt. Fidèle à sa théorie de la valeur travail, il commence par définir le profit comme une composante du prix :

Il faut observer que la valeur réelle de toutes les différentes parties constituantes du prix se mesure par la quantité du travail que chacune d'elles peut acheter ou commander. Le travail mesure la valeur, non seulement de cette partie du prix qui se résout en travail, mais encore de celle qui se résout en rente, et de celle qui se résout en profit.

Puis il justifie l’intérêt par le profit :

[L’intérêt est] une compensation que l'emprunteur paye au prêteur, pour le profit que l'usage

de l'argent lui donne occasion de faire.

Ici, Adam Smith explique donc que l’entrepreneur qui réalise un profit grâce au prêt d’une banque verse à son créancier une compensation nommée intérêt. L’explication est maladroite. On ne voit pas ce qui oblige l’emprunteur à verser cette compensation, ni comment le temps intervient, ni pourquoi l’intérêt ne tend pas vers zéro sous l’effet de la concurrence entre banques. D’un côté, si entrepreneur trouve le moyen de multiplier la valeur de son investissement en une semaine, devra-t-il verser à la banque un intérêt de 100% par semaine ? De l’autre, si des banquiers sont en concurrence pour prêter à un entrepreneur, qu’est-ce qui empêche chaque banquier de proposer un taux plus bas que les autres pour remporter le marché, quitte à se rapprocher d’un taux zéro ?

Eugen von Böhm-Bawerk publie en 1890 une étude exhaustive des différentes théories de l’intérêt. Poursuivant sur les bases établies par Menger, une de ses contributions est de formuler le problème de l’intérêt comme un problème d’inégalité de valeurs subjectives. Tout comme les prix sur le marché des biens, le taux d’intérêt résulte de choix et d’échanges entre individus. Ces échanges nous permettent d’observer les préférences de ces individus entre certaines quantités de biens aujourd’hui et certaines quantités de biens à une date future. Ce sont ces préférences temporelles qui les conduisent, à un instant donné, à réaliser un prêt ou à contracter un emprunt, c’est-à-dire à accepter un échange étalé dans le temps avec une personne qui a des préférences inverses des leurs.

Il est important de souligner que l’intérêt n’est pas un phénomène monétaire, ni capitalistique, même si il se manifeste le plus souvent par des échanges monétaires. C’est un prix relatif entre des biens à des dates différentes. Il est déterminé par les préférences temporelles des individus et par cela seulement. Knut Wicksell développe ces notions et appelle taux d’intérêt naturel le taux observable sur le marché des échanges inter temporels sans risque (quand le remboursement est certain). On peut alors répondre aux questions posées plus haut : ce qui empêche le taux de tendre vers zéro, c’est la loi universelle selon laquelle un tiens vaut mieux que un tu l’auras ! La préférence temporelle des prêteurs fait qu’ils exigent toujours une compensation pour attendre. Lorsque deux prêteurs sont en concurrence, celui qui a la préférence temporelle la plus faible remporte le marché. Mais en aucun cas il ne prêtera sans intérêt, si bien que le taux ne descendra pas en dessous de ce qu’il est prêt à accepter. De même, lorsque des entrepreneurs sont en concurrence pour obtenir un prêt, le taux ne peut monter plus haut que leurs préférences temporelles respectives. Comme sur les autres marchés, la confrontation des offres et des demandes sur le marché des échanges inters temporels tend vers l’obtention d’un taux d’intérêt – c’est-à-dire d’un « prix » – uniforme.

On voit donc que le profit pour Adam Smith est nécessairement suspect, car il devrait tendre vers zéro sous l’effet de la concurrence. Karl Marx en déduira une théorie selon laquelle le capitalisme court à sa perte par l’annihilation progressive des profits. Sans aller jusque là, le raisonnement de Smith sert souvent à justifier toutes sortes d’interventions et de réglementations contre les profits abusifs. Puisque la concurrence n’est jamais « pure et parfaite », les profits réalisés par le capital sont certainement supérieurs à ce qu’ils devraient être « raisonnablement ». Il faudrait donc rééquilibrer la part des salaires dans la valeur ajoutée, etc. Mais ce que nous disent Böhm-Bawerk et Wicksell, c’est que sous l’effet de la concurrence et du marché, le taux de profit (sans risque) ne tend pas vers zéro mais vers le taux d’intérêt naturel. Ce dernier est strictement positif en raison de nos préférences temporelles. C’est en quelque sorte le taux de profit minimal. Si j’achète un kilo de pommes pour un euro, qui est leur prix de marché, je ne m’enrichis pas sur le dos du commerçant. J’échange un euro contre des biens qui ont une valeur subjective supérieure pour moi. Le commerçant ne s’enrichit pas non plus sur mon dos, puisqu’il cède un kilo de pommes contre une quantité de monnaie qui a une valeur subjective supérieure pour lui. Puisque chacun est à même de comprendre ce raisonnement, il est facile de voire qu’il s’applique également dans le cas du taux d’intérêt. Il n’y a pas égalité de valeurs entre 100 euros aujourd’hui et 105 euros dans un an – à supposer que le taux d’intérêt naturel soit de 5% – mais bien une double inégalité : 105 euros demain valent plus que 100 euros aujourd’hui pour le prêteur, et 100 euros aujourd’hui valent plus que 105 euros dans un an pour l’emprunteur. La preuve en est donnée par l’échange ; sans cette double inégalité, l’échange – c’est-à-dire le prêt – ne se ferait pas.

Cette propriété peut être observée dans un exemple très concret. Lorsqu’une entreprise embauche des salariés, elle n’a au début de son existence aucun produit à vendre. Le temps de produire des biens, et de les distribuer, elle peut mettre un temps assez long avant de générer du chiffre d’affaires. Il se peut même qu’elle doive investir d’abord en recherche et développement et qu’un délai de plusieurs années s’écoule avant que son flux de trésorerie s’équilibre. Pendant ce laps de temps, les salariés préfèrent généralement être payés. Ils pourraient renoncer à leur salaire, et demander en contrepartie une part des profits futurs. Cela s’appelle être actionnaire. Mais dans la plupart des cas, on aboutit spontanément à une certaine répartition des tâches : les salariés travaillent et demandent à être payés tout de suite ; les capitalistes attendent et demandent à percevoir la totalité des profits futurs. Il existe quelques recouvrements entre les deux fonctions avec les parts variables dans les salaires et l’intéressement pour les salariés, mais c’est une petite part des salaires. Le capitaliste permet donc aux salariés de recevoir leur salaire tout de suite. Sans lui, ils seraient obligés d’attendre, tout comme le boulanger, qui initialement construirait lui-même son four à pain, ne mangerait pas de pain pendant ce temps. La rémunération des salariés et des capitalistes dans une entreprise résulte simplement du fait que les premiers ont une préférence relativement plus forte pour les biens présents que pour les biens futurs.

Il y aurait encore beaucoup à dire, puisque au-delà de la notion d’intérêt il reste à comprendre ce qu’est un entrepreneur, l’incertitude, le risque. Intuitivement, on voit déjà que le temps doit jouer un rôle central pour comprendre ces notions. Mais déjà si l’on s’en tient à la simple question de l’intérêt, force est de conclure que Smith part de nouveau dans une mauvaise voie. Sa conception de l’intérêt comme une composante de la valeur est fausse, et surtout elle n’explique en rien comment se forme le taux d’intérêt. L’apport de Menger et Böhm-Bawerk a été de montrer qu’un taux d’intérêt, comme un prix, n’est que la manifestation instantanée de valeurs subjectives. On ne peut l’observer et découvrir le taux d’intérêt naturel que par un processus de marché, c’est-à-dire la rencontre d’une offre et d’une demande avec des individus qui réalisent des échanges inter temporels. Par conséquent, Smith n’est pas à même de comprendre ces forces qui, à tout moment sur le marché des capitaux, font tendre le profit sans risque vers le taux d’intérêt naturel. Faute d’avoir compris la nature de ce point d’équilibre naturel, il est tentant de lui substituer la notion de taux d’intérêt « raisonnable ». Les deux notions sont à vrai dire très proches, et la différence est subtile. Après tout, dire qu’un taux d’intérêt est raisonnable n’est rien d’autre qu’exprimer une certaine préférence temporelle. A ceci près que raisonnable se réfère à la préférence subjective de quelqu’un, tandis que le taux naturel est « raisonnable » dans le sens où il est la synthèse des préférences subjectives de myriades d’individus. Outre le fait qu’un individu qui impose ses valeurs subjectives aux autres est comparable à un dictateur, il faut faire remarquer que toute règle qui viserait à plafonner le taux de profit ou à le baisser en dessous d’un seuil est comparable à la mise en place d’un contrôle des prix. Sans rentrer dans les détails, on sait que le contrôle des prix est une façon parmi d’autres d’empêcher certains échanges de se réaliser, quand bien même ils sont souhaités par les individus concernés. La conséquence universelle et prévisible de tels mécanismes est la pénurie – en l’occurrence la pénurie de capitaux pour les entrepreneurs.

02 janvier 2008

Code monétaire et financier

Cela faisait longtemps que je voulais regarder ce qu’il y a dans le Code Monétaire et Financier. Le document faisant 500 pages, voici quelques extraits commentés.

Article L112-1 Sous réserve des dispositions du premier alinéa de l'article L. 112-2 et des articles L. 112-3 et L. 112-4, l'indexation automatique des prix de biens ou de services est interdite.

Article L112-3 Par dérogation aux dispositions de l'article L. 112-1 et du premier alinéa de l'article L. 112-2 et selon des modalités définies par décret, peuvent être indexés sur le niveau général des prix :

1º Les titres de créance et les instruments financiers à terme mentionnés aux 2 et 4 du I de l'article L. 211-1 ;

2º Les premiers livrets de la Caisse nationale d'épargne et des caisses d'épargne et de prévoyance, ainsi que les comptes spéciaux sur livret du crédit mutuel définis à l'article L. 221-1 ;

3º Les comptes sur livret d'épargne populaire définis à l'article L. 221-13 ;

4º Les comptes pour le développement industriel définis à l'article L. 221-27 ;

5º Les comptes d'épargne-logement définis à l'article L. 315-1 du code de la construction et de l'habitation ;

6º Les livrets d'épargne-entreprise définis à l'article 1er de la loi nº 84-578 du 9 juillet 1984 sur le développement de l'initiative économique ;

7º Les livrets d'épargne institués au profit des travailleurs manuels définis à l'article 80 de la loi de finances pour 1977 (nº 76-1232 du 29 décembre 1976) ;

8º Les prêts accordés aux personnes morales ainsi qu'aux personnes physiques pour les besoins de leur activité professionnelle ;

9º Les loyers prévus par les conventions portant sur un local d'habitation.

L’indexation des contrats sur l’indice des prix est une façon qu’a le prêteur de se protéger contre l’inflation. Mais l’Etat est débiteur et a plutôt intérêt à interdire ce genre de clause dans les contrats. Un exemple parmi des millions où la loi interdit arbitrairement certaines dispositions dans des contrats privés, même lorsque les deux parties sont d’accord et que l’Etat n’est pas partie prenante.

Article L112-6 I. - Les règlements qui excèdent la somme de 1 100 euros ou qui ont pour objet le paiement par fraction d'une dette supérieure à ce montant, portant sur les loyers, les transports, les services, fournitures et travaux ou afférents à des acquisitions d'immeubles ou d'objets mobiliers ainsi que le paiement des produits de titres nominatifs et des primes ou cotisations d'assurance doivent être effectués par chèque barré, virement ou carte de paiement ; il en est de même pour les transactions sur des animaux vivants ou sur les produits de l'abattage. Le paiement des traitements et salaires est soumis aux mêmes conditions au-delà d'un montant fixé par décret.

Lutte contre l’évasion fiscale.

Article L112-10 Le salaire est payé dans les conditions fixées par l'article L. 143-1 du code du travail.

Sous réserve des dispositions législatives imposant le paiement des salaires sous une forme déterminée, le salaire doit être payé en monnaie métallique ou fiduciaire ayant cours légal ou par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal, nonobstant toute stipulation contraire, à peine de nullité.

Au-delà d'un montant mensuel fixé par décret, le salaire est payé par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal.

Article L121-1 Sous réserve de celles qui ont cours légal en France, les pièces métalliques de fabrication étrangère ne peuvent être admises dans les caisses publiques en paiement de droits et de contributions de quelque nature que ce soit, payables en numéraire.

L’Etat n’accepte que sa monnaie pour le paiement des impôts et taxes.

Article L121-3 La Monnaie de Paris est un établissement public de l'Etat à caractère industriel et commercial. Cet établissement est chargé :

1º A titre exclusif, de fabriquer pour le compte de l'Etat les pièces métalliques mentionnées à l'article L. 121-2 ;

La Monnaie de Paris a le monopole de l’industrie de la fabrication des pièces.

Article L141-1 La Banque de France fait partie intégrante du Système européen de banques centrales, institué par l'article 8 du traité instituant la Communauté européenne, et participe à l'accomplissement des missions et au respect des objectifs qui sont assignés à celui-ci par le traité.

Dans ce cadre, et sans préjudice de l'objectif principal de stabilité des prix, la Banque de France apporte son soutien à la politique économique générale du Gouvernement.

Dans l'exercice des missions qu'elle accomplit à raison de sa participation au Système européen de banques centrales, la Banque de France, en la personne de son gouverneur, de ses sous-gouverneurs ou d'un autre membre du comité monétaire du conseil général, ne peut ni solliciter ni accepter d'instructions du Gouvernement ou de toute personne.

La Banque de France est « indépendante ».

Article L141-3 Il est interdit à la Banque de France d'autoriser des découverts ou d'accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publics. L'acquisition directe par la Banque de France de titres de leur dette est également interdite.

La Banque de France n’a pas le droit de financer le déficit public.

Article L141-5 En application de l'article 106, paragraphe I, du traité instituant la Communauté européenne, accordant à la Banque centrale européenne le monopole d'autorisation d'émission de billets de banque dans la Communauté, la Banque de France est seule habilitée, sur le territoire de la France métropolitaine et des départements d'outre-mer, à émettre les billets ayant cours légal.

Article L141-9 La Banque de France peut faire, pour son propre compte et pour le compte de tiers, toutes opérations sur or, moyens de paiement et titres libellés en monnaies étrangères ou définis par un poids d'or. La Banque de France peut prêter ou emprunter des sommes en euros ou en devises étrangères à des banques étrangères, institutions ou organismes monétaires étrangers ou internationaux. A l'occasion de ces opérations, la Banque de France demande ou octroie les garanties qui lui paraissent appropriées.

Article L142-1 La Banque de France est une institution dont le capital appartient à l'Etat.

Article L144-2-1 Les biens immobiliers appartenant à la Banque de France sont soumis aux dispositions du code général de la propriété des personnes publiques applicables aux établissements publics de l'Etat. Les biens mobiliers appartenant à la Banque de France sont insaisissables.

Si la Banque de France est en faillite, elle n’est pas liquidée comme les autres entreprises puisque ses créanciers – et notamment les détenteurs de monnaie – ne peuvent pas saisir ses actifs.

Article L511-11 Les établissements de crédit doivent disposer d'un capital libéré ou d'une dotation versée d'un montant au moins égal à une somme fixée par le ministre chargé de l'économie.

Barrière à l’entrée classique sur le marché des banques.

Article L162-1 La contrefaçon et la falsification des monnaies et des billets de banque, ainsi que le transport, la mise en circulation et la détention en vue de la mise en circulation de monnaies et de billets contrefaisants ou falsifiés sont réprimés par les articles 442-1 à 442-15 du code pénal.

Article L163-1 Est puni d'une amende de 6 000 euros le fait, pour le tiré, de refuser le paiement d'un chèque hors les cas mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 131-35, au motif que le tireur y a fait opposition.

Article L221-2 Les caisses d'épargne peuvent rembourser à vue les fonds déposés mais les remboursements ne sont exigibles que dans un délai de quinzaine.

En cas de force majeure, un décret en Conseil d'Etat pris sur le rapport du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé de La Poste peut limiter les remboursements par quinzaine à 2 % du maximum autorisé des dépôts sur le livret A. Les dépôts postérieurs au décret sont libérés de la clause de sauvegarde.

Les sommes déposées sur les Livrets A sont astronomiques même si elles ont tendance à baisser (115 Md€). L’Etat peut donc décider de geler ces avoirs en cas de force majeure. Or c’est justement dans ce genre de situation que l’on peut avoir besoin d’argent.

Article L221-8 Les sommes déposées sur le livret A des caisses d'épargne et de prévoyance sont centralisées à la caisse des dépôts et consignations et bénéficient de la garantie de l'Etat.

Ces sommes sont investies dans le logement social par la CdC et servent à financer les offices de HLM (et accessoirement des partis politiques…).

Article L231-3 Est puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 750 000 euros le fait de diriger en droit ou en fait un organisme qui procède à des placements collectifs en valeurs mobilières sans avoir été agréé ou qui poursuit son activité malgré un retrait d'agrément.

L’agrément est présenté comme une protection pour le consommateur, mais il a pour conséquence de freiner l’entrée de concurrents dans le marché.

Article L312-3 Nonobstant toutes dispositions contraires, il est interdit à tout établissement de crédit qui reçoit du public des fonds en compte à vue à moins de cinq ans, et par quelque moyen que ce soit, de verser sur ces fonds une rémunération supérieure à celle fixée par le ministre chargé de l'économie.

Récemment encore, la rémunération des comptes courants était totalement interdite. Cette interdiction vient d’être levée mais les taux sont tellement bas que cela n’a pas d’intérêt.

Article L312-4 Les établissements de crédit agréés en France adhèrent à un fonds de garantie des dépôts qui a pour objet d'indemniser les déposants en cas d'indisponibilité de leurs dépôts ou autres fonds remboursables.

Un système de ce genre a été mis en place aux US pendant la crise en 1933. Des rumeurs circulaient disant que le gouvernement de Roosevelt risquait de dévaluer le dollar, c’est-à-dire baisser sa définition en or. Cela provoquait des bank runs, les déposants se précipitant tous pour retirer leur or des banques. Roosevelt a alors déclaré un bank holiday de quatre jours pour fermer les guichets, puis a annoncé la création du fonds de garantie. Lorsque les guichet ont rouvert, l’illusion de sécurité apportée par le FDIC avait enrayé les runs. Mais par la suite, Roosevelt passa une loi interdisant toute détention d’or et obligeant les gens à le remettre à une banque.

Article L312-8 Tout membre qui ne verse pas au fonds de garantie sa cotisation appelée est passible des sanctions prévues par l'article L. 613-21 et de pénalités de retard versées directement au fonds de garantie selon des modalités définies par le règlement intérieur de celui-ci.

Article L312-9 Le fonds de garantie des dépôts est une personne morale de droit privé. Il est géré par un directoire agissant sous le contrôle d'un conseil de surveillance. Les membres du directoire et du conseil de surveillance sont soumis aux incapacités énoncées à l'article L. 500-1.

Article L313-5 La définition du taux de l'usure est fixée par l'article L. 313-3 du code de la consommation, ci-après reproduit :

Article L313-5-2 Lorsqu'un prêt conventionnel est usuraire, les perceptions excessives au regard des articles L.

313-4 et L. 313-5-1 sont imputées de plein droit sur les intérêts normaux et subsidiairement sur le capital de la créance.

Les lois sur l’usure consistent à interdire les prêts dont le taux est supérieur à un certain seuil. C’est évidemment présenté comme une protection de l’emprunteur, mais cela interdit à certains d’emprunter. Ce sont en particulier les pauvres qui sont pénalisés car ils ne peuvent pas emprunter lorsqu’ils ont un mauvais rating. Ces lois sont plus fortes chez nous qu’aux US. Il ne faut surtout pas croire qu’elles sont la solution au problème des subprimes.

Article L321-1 Les services d'investissement portent sur les instruments financiers énumérés à l'article L. 211-1 et comprennent les services et activités suivants :

Les services rendus à l'Etat et à la Banque de France, dans le cadre des politiques de gestion de la monnaie, des taux de change, de la dette publique et des réserves de l'Etat ne sont pas soumis aux dispositions du présent code applicables aux services d'investissement mentionnés au présent article.

No comment.

Article L511-5 Il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel. Il est, en outre, interdit à toute entreprise autre qu'un établissement de crédit de recevoir du public des fonds à vue ou à moins de deux ans de terme.

La Caisse des dépôts et consignations et ses filiales constituent un groupe public au service de l'intérêt général et du développement économique du pays. Ce groupe remplit des missions d'intérêt général en appui des politiques publiques conduites par l'Etat et les collectivités locales et peut exercer des activités concurrentielles. Dans ce cadre, la Caisse des dépôts et consignations est plus particulièrement chargée de la gestion des dépôts réglementés et des consignations, de la protection de l'épargne populaire, du financement du logement social et de la gestion d'organismes de retraite. Elle contribue également au développement économique local et national, particulièrement dans les domaines de l'emploi, de la politique de la ville, de la lutte contre l'exclusion bancaire et financière, de la création d'entreprise et du développement durable.

L’épargne publique gérée par la CdC au titre de ces missions est investie dans les HLM ou bien prêtée à l’Etat.

Article L518-16 La Caisse des dépôts et consignations verse chaque année à l'Etat, sur le résultat net de son activité pour compte propre après paiement d'une contribution représentative de l'impôt sur les sociétés, une fraction de ce résultat net, déterminée après avis de la commission de surveillance de l'établissement saisie par le directeur général, dans le cadre des lois et règlements fixant le statut de l'établissement.

Des sousous !

Article L611-1 Le ministre chargé de l'économie arrête les règles concernant notamment :

1. Le montant du capital des établissements de crédit et les conditions dans lesquelles des participations directes ou indirectes peuvent être prises, étendues ou cédées dans ces établissements ainsi que dans les établissements financiers, définis à l'article L. 511-21, détenant directement ou indirectement un pouvoir de contrôle effectif sur un ou plusieurs établissements de crédit ;

2. Les conditions d'implantation des réseaux ;

3. Les conditions dans lesquelles ces établissements peuvent prendre des participations ;

4. Les conditions des opérations que peuvent effectuer les établissements de crédit, en particulier dans leurs relations avec la clientèle, ainsi que les conditions de la concurrence ;

5. L'organisation des services communs ;

6. Les normes de gestion que les établissements de crédit doivent respecter en vue notamment de garantir leur liquidité, leur solvabilité et l'équilibre de leur structure financière ainsi que les conditions dans lesquelles ces normes sont respectées sur une base consolidée, y compris en l'absence d'une entreprise mère ayant son siège social en France ;

7. La publicité des informations destinées aux autorités compétentes ;

8. Les instruments et les règles du crédit, sous réserve des missions confiées au Système européen de banques centrales par l'article 105, paragraphe 2, du traité instituant la Communauté européenne ;

9. Les règles relatives à la protection des déposants mentionnées à l'article L. 312-4 ;

10. Les règles applicables à l'organisation comptable, aux mécanismes de contrôle et de sécurité dans le domaine informatique ainsi que les procédures de contrôle interne.

Permet au Gouvernement de réglementer le marché bancaire sans passer par le Parlement.

Article L611-4 Le ministre chargé de l'économie précise également :

1. Les conditions dans lesquelles les entreprises d'investissement peuvent effectuer les opérations mentionnées au 2 de l'article L. 321-2 ;

2. Les conditions dans lesquelles les entreprises d'investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille peuvent effectuer les opérations mentionnées à l'article L. 531-5 ;

3. Les conditions dans lesquelles la structure du capital des entreprises d'investissement autres que les sociétés de gestion de portefeuille peut être modifiée, conformément à l'article L. 531-6.

Article L611-5 Les arrêtés du ministre chargé de l'économie ainsi que les règlements du Comité de la réglementation comptable peuvent être différents selon le statut juridique des établissements de crédit ou des entreprises d'investissement, l'étendue de leurs réseaux ou les caractéristiques de leur activité. Ils peuvent, en tant que de besoin, prévoir les conditions d'octroi de dérogations individuelles à titre exceptionnel et temporaire.

Une petite clause discrétionnaire ça peut toujours servir.

Article L611-6 Ne sont pas soumis à l'avis du Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières les arrêtés pris dans les matières suivantes :

1. En ce qui concerne les banques mutualistes ou coopératives, la définition des conditions d'accès au sociétariat ainsi que les limitations du champ d'activité qui en résultent pour ces établissements ;

2. La définition des compétences des institutions financières spécialisées, des caisses d'épargne et de prévoyance et des caisses de crédit municipal ;

3. Les principes applicables aux opérations de banque assorties d'une aide publique ;

4. Les règles applicables à la fourniture des services d'investissement par les entreprises d'investissement et les établissements de crédit.

On ne va pas demander l’avis d’un Comité, même consultatif, quand même !

Article R144-4 Le cas échéant, sont effectués en priorité sur le résultat net annuel les prélèvements prévus à la convention mentionnée au premier alinéa de l'article L. 141-2. Un prélèvement de 5 % sur le résultat net de l'exercice est ensuite affecté à une réserve spécifique qui cesse d'être dotée lorsqu'elle atteint un montant égal au capital de la Banque de France. Le conseil général décide enfin de la proposition d'affectation du solde du résultat net à toutes réserves extraordinaires ou spéciales, au report à nouveau et au dividende versé à l'Etat. Cette proposition est soumise à l'approbation du ministre chargé de l'économie.

Encore des sousous ! C’est la Banque de France qui paie, cette fois. En pratique, la Banque de France perçoit une rente appelée seigneuriage qui vient des intérêts sur les actifs achetés avec la monnaie qu’elle crée. Depuis l’euro, c’est la BCE qui perçoit le seigneuriage. Une clé fixe répartit donc l’allocation entre les banque centrales nationales. Les frais de fonctionnement de la Banque de France sont si élevés (13000 salariés, je n’ai aucune idée de ce qu’ils peuvent bien faire) qu’elle ne reverse presque rien à l’Etat.

Article R162-1 Le fait d'accepter, de détenir ou d'utiliser tout signe monétaire non autorisé ayant pour objet de remplacer les pièces de monnaie ou les billets de banque ayant cours légal en France est réprimé conformément à l'article R. 642-2 du code pénal.

Pas le droit d’utiliser une autre monnaie que celle ayant cours légal. Si j’ai des dollars US dans mon portefeuille, suis-je en infraction ? Et si je paie quelqu’un en Francs suisses (avec son accord bien entendu) ?

Article R162-2 Le fait de refuser de recevoir des pièces de monnaie ou des billets de banque ayant cours légal en France selon la valeur pour laquelle ils ont cours est réprimé conformément à l'article R. 642-3 du code pénal.

Obligation d’accepter la monnaie légale.