17 octobre 2006

Studios et médicaments

Depuis une semaine, j’héberge un couple d’amis américains dont la femme cherche un petit studio à Paris le temps de faire avancer ses recherches doctorales. Ils pensaient trouver rapidement, et partir ensuite quelques jours en Champagne avant que le mari ne rentre aux Etats-Unis, mais ils ont vite déchanté. Après les premiers appels téléphoniques, ils n’avaient obtenu que très peu de rendez-vous, et encore pour des studios dont le loyer était au-dessus de leur budget. Après huit jours de recherches, leur conclusion est qu’il existe une offre significative à partir de 700€ par mois, mais très peu de choses en-dessous de 600€. Le clou a été la visite d’un 13m² coincé entre une cave et un rez-de-chaussée, avec un soupirail pour toute ouverture, humide et mal entretenu, dont le propriétaire demandait 250€… la semaine !

A peu près au même moment, les médias annonçaient un rapport dans lequel la Haute Autorité de Santé préconise de dérembourser de nombreux médicaments. Leur efficacité étant jugée insuffisante, le Ministre de la Santé, à qui reviendra la décision finale, pourrait donc réduire le taux de prise en charge de ces médicaments par la Sécurité Sociale. Les journalistes ajoutaient que, dans des cas similaires, le prix des médicaments déremboursés avait parfois augmenté.

Quel est le lien entre les studios et les médicaments ? Dans les deux cas, il s’agit de produits dont le prix est subventionné. Comme on va le voir plus loin, l’existence d’une subvention semble faire monter les prix des petits studios, tandis que dans le cas des médicaments, c’est la suppression de la subvention qui fait monter les prix. C’est cette apparente contradiction qui m’a fait dresser l’oreille et hausser le sourcil. Voyons ce qu’il en est.

La cible privilégiée des loueurs de petites surfaces sont par exemple les étudiants ou personnes seules ayant un faible revenu, qui peuvent bénéficier de diverses aides au logement. La plus connue est l’Aide Personalisée au Logement, qui représente généralement entre 80 et 230€ par mois. La théorie économique permet-elle de prédire l’effet de ces subventions sur les loyers des petites surfaces ? Selon la loi de l’offre et de la demande, la subvention agit comme un décalage de la courbe d’offre vers des prix (P) afin d’offrir des prix plus bas au locataire. La demande des locataires peut donc être servie pour une quantité (Q) plus importante que leur pouvoir d’achat ne le permettrait sans subvention. On peut noter qu’une taxe agit exactement en sens inverse, ou si l’on préfère, comme une subvention négative.

La courbe de demande (D) a une pente décroissante avec la quantité, c’est-à-dire que les prix doivent baisser si l’on veut que les acheteurs achètent plus. Pour la courbe d’offre (S comme supply) c’est l’inverse, les producteurs ayant tendance à augmenter les quantités produites lorsque les prix montent. Les deux courbes se coupent donc en un point, lequel détermine le prix du marché, noté PE comme prix d’équilibre. La subvention peut donc être représentée comme une flèche qui va de la courbe d’offre vers la courbe de demande. Le point de départ correspond au prix perçu par le vendeur, noté PV, et la pointe de la flèche correspond au prix payé par l’acheteur après déduction de la subvention, et on le note PA. Le prix acheteur est inférieur au prix vendeur, du montant de la subvention. On note au passage que la quantité produite et consommée augmente lorsqu’on met en place la subvention.

La question qui se pose immédiatement et de savoir si la subvention « ira dans la poche du propriétaire », ou bénéficiera comme prévu au locataire. Cela dépend des pentes respectives des deux courbes. Sur le premier graphique ci-dessus, la courbe d’offre est très raide, ce qui signifie que la quantité produite ou disponible augmente peu lorsque les prix montent. A l’inverse, la courbe de demande est presque plate, et les acheteurs n’ont qu’un budget pratiquement constant à consacrer à ce produit. Sur le deuxième graphique ci-dessous figure au contraire un exemple où l’offre augmente rapidement avec les prix, tandis que les acheteurs veulent consommer une quantité pratiquement fixe indépendamment du prix.

Le fait de se situer dans un cas où dans l’autre dépend des contraintes des producteurs et des acheteurs. Les logements devraient correspondre au premier graphique, et les médicaments au second :

- La quantité d’appartements à Paris est limitée, donc l’offre est a priori peu sensible au prix ; les acheteurs ont un budget limité car ils consacrent généralement une part importante de leur revenu à se loger et ne peuvent pas l’augmenter beaucoup ; on devrait se situer dans le cas du premier graphique.

- La quantité de médicaments produite est très variable, et les coûts de production sont faibles par rapport aux coûts fixes de recherche et de marketing ; les patients ont besoin de ces médicaments lorsqu’ils sont malades, et peuvent dégager le budget qu’il faut pour les acheter en quantité suffisante ; cela correspond plutôt au second graphique.

Ceci étant exposé, la théorie économique voudrait donc que le prix des logements – en particulier des petites surfaces – augmente du fait des subventions. Sur le premier graphique, le prix vendeur est nettement plus élevé que le prix d’équilibre sans subvention, et le prix acheteur baisse peu. En caricaturant, on peut donc dire que « la subvention tombe dans la poche du propriétaire ». C’est ce que les études dans ce domaine semblent confirmer.

En ce qui concerne les médicaments, en revanche, on n’observe pas que la subvention fait baisser les prix. C’est pourquoi j'ai été surpris par la remarque du journaliste qui disait que lorsqu’on déremboursait les médicaments, certains prix montaient, ce qui m'a incité à écrire cet article. Sur le second graphique, en effet, il semble que le prix vendeur augmente un peu grâce à la subvention. Comment sa suppression pourrait-elle faire monter ce prix ? Ce serait oublier que le marché d’un médicament n’est pas un marché concurrentiel parfait. Pour les médicaments relativement récents, protégés par des brevets, le fabricant dispose d’un monopole au moins jusqu’à l’expiration de ses brevets. Dans un marché concurrentiel, la courbe d’offre normale est déterminée par une myriade de petits producteurs dont aucun n’est assez gros pour modifier le prix de marché. C’est le cas des producteurs de pommes de terre par exemple.

Mais pour les médicaments, le fabricant qui dispose d’un monopole peut modifier la courbe d’offre car c’est SA courbe à lui. La conséquence est qu’elle change radicalement d’allure. Si les quantités diminuent, le fabricant est incité à augmenter ses prix pour maintenir ses bénéfices. A l’inverse, il peut décider de baisser ses prix si il estime que cette perte sera plus que compensée par l’augmentation des ventes qui en résultera. La pente de la courbe d’offre devient donc négative. Le troisième graphique montre ce qui se passe dans ce cas : la suppression de la subvention fait passer du prix PV à un prix d’équilibre PE qui est plus élevé malgré que la quantité a baissé.

Ainsi, on comprend maintenant qu’une subvention peut faire baisser le prix des médicaments, tandis qu’elle fait monter les loyers. L’explication est plausible. Encore faudrait-il vérifier si cette interprétation reflète bien la réalité des marchés immobilier et de la santé, ou si ce n’est qu’un modèle ad’hoc. Enfin, chacun pourra se faire sa propre opinion sur la légitimité des subventions, au regard des explications qui précèdent.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Les locataires ont en effet un budget peu élastique. Beaucoup moins que celui des acheteurs. De fait, sur un cycle immobilier de 10 ans, les variations (à la hausse comme à la baisse) des loyers sont en général plus faibles que celles des prix de vente.