11 novembre 2006

Les retraites de la SNCF

La presse se fait aujourd’hui l’écho de la situation des retraites des anciens salariés de la SNCF. A l’occasion du passage aux normes comptables IFRS, l’entreprise publique est priée par ses auditeurs de passer en 2006 une provision de 8 Md€ (milliards d’euros) alors que ses fonds propres ne sont que de 4,8 Md€. Les comptes seront clos aux 31 décembre, et doivent être arrêtés par le Conseil d’Administration puis approuvés en AG avant le 30 juin 2007, ce qui laisse quelques mois à l’Etat pour trouver une solution avec la SNCF. Qu’est-ce que cela signifie ?

La SNCF fait partie des entreprises dont les salariés bénéficient d’un régime spécial de retraites. Elle paie elle-même les pensions de ses anciens salariés (enfin presque…), ce qui pose un problème lorsque les effectifs décroissent : les salariés actifs sont de moins en moins nombreux pour payer les pensions de retraités de plus en plus nombreux. Cela n’a rien d’original, puisque c’est la situation du régime général des retraites de la sécurité sociale. Mais à la SNCF l’effet démographique est nettement plus fort, puisqu’elle compte aujourd’hui 310 000 retraités pour 170 000 actifs. C’est pourquoi, en réalité, la SNCF ne parvient déjà plus à payer les retraites de ses salariés : en 2005, les cheminots retraités ont reçu 4,7 milliards d'euros, dont 1,8 milliard versés par la SNCF et 2,6 milliards par l'État.

Comment est calculé le montant de la provision ? Ces 8 Md€ correspondent à des avantages supplémentaires accordés par la SNCF à ses retraités en 1990. Elle a, entre autres, intégré des primes dans le calcul des pensions. Les engagements au titre des retraites des cheminots représentent entre 105 et 108 milliards d'euros qui devront être versés sur cinquante à soixante ans. Soit, grosso modo, 2 milliards d'euros par an [NB: ce calcul de journaliste est faux car il faudrait actualiser les paiements annuels, mais même si on divise par deux les 108 Md€, la conclusion n'est pas vraiment modifiée]. Que trouve-t-on dans les comptes de la SNCF pour refléter cet engagement ?


Comme on le voit, le montant estimé de l'engagement hors bilan des retraites ne couvre que deux ans de pension avec la part versée par l’Etat. Il y a une raison qui permettait de comptabiliser un montant aussi faible. La SNCF a encore des salariés qui paient des cotisations couvrant une bonne partie des 2 Md€ qu’elle doit verser chaque année à ses retraités. Je suppose - mais n'ai pas vérifié - que le montant de l'engagement hors bilan ci-dessus ne correspond qu’à la différence entre les deux. L’intégration des primes en 1990 a augmenté les pensions, d’où la provision supplémentaire de 8 Md€. Cependant, le véritable engagement de la SNCF vis-à-vis de ses retraités est beaucoup plus important. Si elle avait constitué un fonds pour payer leurs pensions, comme l’ont fait General Motors ou Ford (avec les difficultés que l’on sait), ce fonds serait d’un montant de l’ordre de 100 Md€ d’après les chiffres cités plus haut. La provision de la SNCF qui fait tant parler d’elle n’est en réalité que la partie émergée d’un iceberg qui est fondamentalement le même pour tous les régimes par répartition. On peut accepter qu'un système de répartition génère des déficits dans une période où le nombre d'actifs par retraité diminue. Mais, dans ce cas, il faut exiger qu'il génère des excédents dans les périodes où le nombre d'actifs est en croissance. Or cette période de croissance a existé à la SNCF, mais à l'époque les excédents de cotisations des cheminots n'ont pas été transférés au régime général.

On ne peut probablement pas se passer d’un peu de retraites par répartition, mais il est regrettable que notre système soit presque exclusivement basé sur ce principe qui a pour conséquence une incitation négative au travail. Dans un tel système, on promet aux salariés que si ils versent une part de leurs revenus à leurs aînés, leurs enfants feront de même pour eux dans quelques années. Quel lien y a-t-il entre ce qu’on a cotisé hier et ce qu’on percevra demain, percevra-t-on plus si on travaille plus ? Comme la répartition fonctionne par partage du gâteau, chaque personne qui souhaite améliorer sa condition – et c’est bien normal – a pour cela deux leviers :
- travailler plus ou plus longtemps, ce qui a l'avantage de faire grossir le gâteau ;
- ou bien protester pour avoir une part plus importante du gâteau, en justifiant cette demande par les spécificités de son statut.
La première option consiste à travailler pour accumuler le plus possible de « points » de cotisation retraite. La deuxième consiste à essayer d’acheter ses points le moins cher possible, et à les liquider le plus tôt et le plus cher possible, par tous les moyens politiques et syndicaux possibles, et ce au détriment des autres salariés. Le comportement des Français est donc un mélange des deux, et la deuxième option est ressentie de plus en plus durement par ceux qui en font les frais. Les régimes spéciaux tels que celui de la SNCF comprennent des catégories de salariés qui ont poussé la deuxième stratégie le plus loin. Mais leur cas n'est pas unique, car même le régime général incite les représentants des salariés à opter pour cette stratégie chaque fois qu'ils en ont la possibilité.

Malgré ces défauts, l’évolution la plus probable des régimes spéciaux restants (SNCF, RATP, La Poste) est toute tracée : l’intégration dans le régime général. Pour la SNCF, les 2 Md€ qu’elle verse annuellement à ses retraités seraient donc versées à la Sécurité Sociale comme dans n’importe quelle entreprise dont les salariés cotisent. En contrepartie, la Sécurité Sociale reprendrait vraisemblablement à sa charge la part des pensions qui est actuellement supportée par la SNCF – mais pas la part de l’Etat. Pourtant, cela ne suffit pas, car le nombre de salariés de la SNCF va encore décroître et le nombre de ses retraités augmenter, et ce plus vite que dans la population générale. La Sécurité Sociale se retrouverait donc aux termes de cet échange avec des charges croissantes et un revenu décroissant. Pour compenser cette évolution démographique, une soulte serait demandée à la SNCF, comme cela a été le cas pour France Telecom, EDF et GDF.

« Compte tenu du déséquilibre démographique, le montant des soultes serait assez élevé, de 23 milliards d'euros pour la Cnav », estime Hervé Mariton dans son projet de rapport sur le volet projet du loi de finances pour 2007. En admettant que cette estimation soit correcte, le régime spécial de la SNCF pourrait donc être intégré dans le régime général sans pénaliser les autres salariés. Notons au passage qu’il existe un risque politique dans ce genre d’opération. L’Etat – qui veut vendre progressivement ses participations dans certaines entreprises publiques – a intérêt à minimiser la soulte pour vendre ses actifs le plus cher possible et faire rentrer de l’argent tout de suite dans les caisses, au risque de faire supporter à la Sécurité Sociale des charges futures non financées. Cela permettrait de réduire la dette publique en faisant de la trésorerie grâce à des engagements hors bilan. Cette tentation existe, reste à voir si l’Etat est susceptible d’y céder…

En conclusion, voici une synthèse de quelques chiffres concernant la SNCF. Il en ressort que les sommes en jeu pour les retraites sont très importantes par rapport à la taille de l’entreprise : on a vu que la provision dépassait les fonds propres, mais il est plus parlant d’imaginer que la soulte représenterait plus d’un an de chiffre d’affaires, et que le total des pensions de retraites versées (SNCF et Etat confondus) représentait un quart du chiffres d’affaires en 2005. Enfin, les engagements au titre des retraites sont plus importants que le coût de l'infrastructure, d'un facteur quatre si on raisonne comme un fonds de pension.

Sur le site de la SNCF, on trouve les chiffres suivants pour 2005

Chiffre d’affaires : 20 et quelques Md€
(répartis entre quatre activités plus ou moins égales en taille, les voyageurs, le transport public, le frêt et l’infrastructure)

Résultat courant : 0,3 Md€
(c’est le résultat qui intègre les charges d’exploitation, l’amortissement des investissements, et les frais financiers, mais pas les éléments exceptionnels ou non récurrents comme par exemple une provision de 8Md€ pour passage aux normes IFRS…)

Endettement : environ 7 Md€

Compte-tenu de la séparation du réseau confié à Réseau Ferré de France et de l’exploitant qui est la SNCF, il est utile d’examiner les chiffres de RFF pour comprendre les flux entre les deux entités.

Voici ce qu'on trouve sur le site de RFF pour 2005

Contribution à RFF : 2,5 Md€
(ce que RFF paie à la SNCF pour entretenir le réseau qui lui appartient)

Chiffre d’affaires RFF : un peu moins que 2,5 Md€
(ce que la SNCF lui paie comme péage pour l’usage du réseau)

Endettement : environ 27 Md€

RFF présente un résultat d’exploitation tout juste équilibré, et encore grâce à 1 Md€ par an au titre de la « contribution de l’Etat de aux charges d’infrastructure », et un résultat financier de –0,5 Md€ malgré une « contribution au désendettement » de 0,8 Md€ par an. En additionnant ces chiffres, on aboutit à la conclusion que la contribution totale de l’Etat à RFF est supérieure à 2 Md€ par an. C’est-à-dire que la SNCF, pour autant que je comprenne les chiffres de RFF, s’occupe de l’entretien du réseau mais ne paie en réalité ni l’amortissement des investissements ni les frais financiers correspondants. En d’autres termes, il semble que les billets des voyageurs paient environ la moitié du coût total des voies ferrées, mais que l’autre moitié sera remboursée entièrement et exclusivement par l’impôt.

On peut se féliciter de la qualité des transports publics en France, mais encore faut-il prendre en compte la totalité des coûts. Ce bref tour d’horizon montre que si on ne considère que le prix du billet on est loin du compte, puisque les retraites et l’infrastructure présentent des coûts cachés qui sont financés par l'impôt ou bien devront l'être dans le futur. Le moins qu'on puisse dire est que ces coûts n'apparaissent pas clairement lorsqu’on regarde la présentation qu’en donne la SNCF :


Au passage, on note que la TVA est de 5%, ce qui signifie que les autres produits sont plus taxés que les billets de train ou - ce qui revient au même - que les billets de train sont subventionnés... en plus des retraites et de l'infrastructure ! On peut se demander ce que coûterait le billet si chaque voyageur en payait réellement le coût complet. On peut se demander si chaque Français voyagerait autant si le coût de ses déplacements n'était pas en partie supporté par ses concitoyens. Enfin on peut se demander si le coût de la SNCF est celui d'une entreprise efficace...

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Stéphane,

Il existe de nombreuses failles comptables à la SNCF, le provisionnement des engagements sur les retraites en constituant certainement la plus importante.

J'ai en tête un autre exemple qui finira - je l'espère - par être traité correctement un jour. La SNCF accorde aux cheminots et à leur famille la possibilité de circuler gratuitement - ad vitam - ou à très peu de frais sur les lignes nationales - dont tu fais remarquer très justement qu'elles sont largement subventionnées. Certaines mauvaises langues prétendent même que beaucoup de lignes doivent l'essentiel leur trafic à ces réductions. Mais à la SNCF ces avantages en nature ne sont comptabilisés nulle part ! En l'absence de données officielles une évaluation à la 'louche' donne un ordre de grandeur du Milliard d'euros par an...

Ca n'arrangerait pas le bilan de la SNCF.

A+

Gilles

Anonyme a dit…

La SNCF n'est pas une entreprise comme les autres. Son activité engendre des externalités positives qui justifient une importaten solidarité nationale à son égard (meme si cela ne la dispense pas, bien au contraire, de pratiquer une gestion efficace).
La facturation aux voyages du cout complet du billet entrainerait une explosion du trafic automobile avec toutes les nuisances que cela implique. Au final, il n'est pas certain que le pays dans son ensemble en serait gagnant...

Anonyme a dit…

JB,
Peux-tu préciser les externalités positives de la SNCF (suivant la théorie de Karl Shapiro). Je ne vois que des externalités négatives...

Anonyme a dit…

Bonjour,

Un train pollue 8 fois moins qu'une voiture sur un Paris - Lyon par exemple.

Un billet de train compte moins cher que la voiture si l'on prend en compte l'amortissement du crédit, l'essence, l'entretien et l'assurance.

Dernier facteur: la sécurité. A la SNCF, on prefère retarder un train que de laisser partir défaillant. 25 Ans de TGV et pas un seul accident mortel.

Par contre pour un Paris Nice, je conseille l'avion : plus rapide et moins cher via EasyJet...

Au lieu de réclamer la retraite à 60 ans pour les cheminots, réclamez plutot la retraite à 55 ans pour le régime général ! Progressez vos acquis sociaux au lieu de régressez !

Par contre Gilles, les avantages en natures des Cheminots est bien faible comparé à leur effort : disponibilité 24/24h (trains de jours / trains de nuits) et 7/7J également y compris Noel et Jour de l'An. Les usagers réclament mais ne voit pas toute la logistique derrière. Et surtout lorsqu'on travaille un dimanche on ne touche pas comme dans le privé 50 ou 100% de + mais seulement 4€ de prime pour la journée. Il n'y a pas de quoi pavoiser ni être motiver. Et surtout les salaires ne sont pas mirobolants, bien au contraire. Et pourtant les cheminots aiment leur métier quand les usagers apprécient leurs voyagent.

Et c'est bien peu comparé à d'autre sociétés aux sompteux privèleges (EDF, Air France, IBM, Microsoft, etc..) ainsi que ceux pour pourvu d'un riche C.E. (EDF, Air France, Canal+, TF1, Bouyghes...).

On critique souvent ceux que les autres ont alors qu'on a parfoit mieux qu'eux en avantages...

Anonyme a dit…

Pour répondre à Gilles sur le dernier point, il ma semble ne pas faire sens de comptabiliser les voyages gratuits (à condition que les passagers soient en stand-by: ils n'entrent que s'il reste de la place). En effet, le coût marginal est nul (même coût quel que soit le nombre de passagers). Ca pourrait faire sens dans une faible mesure si les employés avaient un budget transport en train (sûrement, mais de l'ordre de 1000 euros/an). Ce "manque à gagner" est compensé par une plus faible pression sur les salaires et une meilleure ambiance sociale (enfin elle doit être assez faible).

Anonyme a dit…

Il est tout à fait intéressant de vérifier quels sont les coûts réels
des services qu'on nous rends, cela permet de prendre des décisions plus rationnelle.
Mais effectivement, à côté des coûts cachés, il y a aussi des effets positifs non mesurés dans le bilan de l'entreprise SNCF.
On peut ainsi considérer que les effets positifs valent bien la subvention de l'état.
Par exemple, j'ai pratiqué la ligne Paris-Lyon intensivement, ce qui m'a permis de "m'expatrier" plus facilement.
Le train permets donc à plein de gens dont moi, de voyager alors qu'ils n'ont pas les moyens de se payer une voiture, je pense que chacun et l'économie en général y gagne beaucoup...
On peut critiquer le système de retraite de la sncf, effectivement une grande partie des salariés bénéficient e la retraite à 55 ans alors qu'ils n'ont pas tous des postes difficiles. Mais je ne vois pas pourquoi on devrait remettre en cause le système de répartition, ce n'est pas parce qu'il est mal appliqué qu'il est mauvais. On devrait plutôt améliorer son fonctionnement que le changer sur la base de cette analyse (sachant que les frais de gestion de ce genre de système, ainsi que ceux de la sécu sont extrêmement faibles par rapport aux solutions privés).

Enfin pour comparer honnêtement le train aux autres moyens de transport, il faut regarder également leurs subventions : les compagnies aériennes, les aéroports sont très largement subventionné par les régions et l'état (par exemple easyjet qui fait du chantage pour maintenir ses liaisons..) et le carburant d'avion n'est pas taxé du tout ! Sans parler des problèmes de pollution (de l'air, sonore ...) qui à mon avis suffisent à justifier de l'existence de fortes subventions aux trains face aux voitures et aux avions....

Anonyme a dit…

Il est tout à fait intéressant de vérifier quels sont les coûts réels
des services qu'on nous rends, cela permet de prendre des décisions plus rationnelle.
Mais effectivement, à côté des coûts cachés, il y a aussi des effets positifs non mesurés dans le bilan de l'entreprise SNCF.
On peut ainsi considérer que les effets positifs valent bien la subvention de l'état.
Par exemple, j'ai pratiqué la ligne Paris-Lyon intensivement, ce qui m'a permis de "m'expatrier" plus facilement.
Le train permets donc à plein de gens dont moi, de voyager alors qu'ils n'ont pas les moyens de se payer une voiture, je pense que chacun et l'économie en général y gagne beaucoup...
On peut critiquer le système de retraite de la sncf, effectivement une grande partie des salariés bénéficient e la retraite à 55 ans alors qu'ils n'ont pas tous des postes difficiles. Mais je ne vois pas pourquoi on devrait remettre en cause le système de répartition, ce n'est pas parce qu'il est mal appliqué qu'il est mauvais. On devrait plutôt améliorer son fonctionnement que le changer sur la base de cette analyse (sachant que les frais de gestion de ce genre de système, ainsi que ceux de la sécu sont extrêmement faibles par rapport aux solutions privés).

Enfin pour comparer honnêtement le train aux autres moyens de transport, il faut regarder également leurs subventions : les compagnies aériennes, les aéroports sont très largement subventionné par les régions et l'état (par exemple easyjet qui fait du chantage pour maintenir ses liaisons..) et le carburant d'avion n'est pas taxé du tout ! Sans parler des problèmes de pollution (de l'air, sonore ...) qui à mon avis suffisent à justifier de l'existence de fortes subventions aux trains face aux voitures et aux avions....

Interior Designers Columbia a dit…

Thanks greatt blog post