23 janvier 2008

De l'urbanisme aux normes de qualité

En Asie du Sud-Est, la corruption des décideurs permet de construire ce qu’on veut , où on veut, à condition de graisser la patte des bonnes personnes. La conséquence sur l’architecture est que, dans la pratique, le promoteur a toute latitude sur le cahier des charges. Ainsi, dans les grandes métropoles où le marché est dérèglementé (Djakarta, Manille), on observe un urbanisme anarchique, un paysage urbain destructuré et globalement très laid à l'aune de nos critères européens. Imposer un cahier des charges strict aux promoteurs peut sembler contraignant à court terme. Mais l'unité architecturale qui en résulte valorise à long terme le patrimoine immobilier, car chaque immeuble bénéficie de la qualité des autres. Une variante de la théorie des externalités.

Sur les normes de construction, c’est pareil. Si le promoteur ne les respecte pas (parce qu’elles n’existent pas ou parce qu’il peut les contourner sans risque), cela ne changera rien à son prix de vente, car il s’agit de normes très techniques incompréhensibles pour l’acheteur lambda qui sera incapable de juger un bien en fonction de ces critères. Ce dernier risque de subir ensuite un préjudice au cours de la jouissance de son bien, mais sans qu’il ait pu négocier au départ une baisse correspondante du prix de vente. C’est le problème classique d’asymétrie de l’information entre un vendeur professionnel et un acheteur non professionnel. La seule manière de protéger ce dernier est d’imposer une réglementation et des normes au vendeur promoteur.

Enfin si on laisse le marché foncier entièrement libre, on se retrouve avec des logements construits en zone inondable, volcanique, sujette à glissement de terrain ou autres délicieux vices cachés qui un jour ou l’autre se révèlent catastrophiques. Dans ces cas, c’est en général l’acheteur crédule qui trinque et non le promoteur sans scrupules. Et sans même rentrer dans ces considérations morales, ce n’est pas économiquement optimum pour le pays dans son ensemble de laisser se développer une vulnérabilité excessive aux risques naturels.

Sur les normes et les risques je n'y crois pas du tout. Les normes sont devenues en pratique une méthode de lobbying de certains secteurs de l'industrie, parce qu'elles permettent de vendre leurs produits ou bien interdisent l'entrée de concurrents. Elles sont bien sûr présentées comme étant dans l'intérêt du consommateur. Mais le consommateur est beaucoup moins idiot qu'on le croit. Lorsqu'un problème d'asymétrie d'information existe vraiment (car c'est souvent un fantasme), les producteurs mettent en place des labels de qualité permettant de garantir le sérieux du vendeur. Il y a une raison simple à cela : ça leur permet de vendre leur produit plus cher, en éliminant l'asymétrie d'information.

Les labels ne sont crédibles que s’ils sont émis et gérés par des autorités indépendantes. Dans l’idée, on n’est plus très loin des normes règlementaires…

Une norme réglementaire est imposée au consommateur, tandis qu'un label de qualité est choisi par lui. Choix vs coercition. Certes, il existe des labels bidon dont le but est de tromper le consommateur, mais je ne pense pas qu'ils puissent avoir un effet significatif et durable. Le label est lui-même un produit, et est donc soumis à la saine concurrence d'autres labels meilleurs que lui. Ce n'est pas le cas des lois.

Il est surprenant d’entendre que l’asymétrie d’information serait souvent un fantasme, alors qu’elle est présente dans pratiquement 100% des transactions tous secteurs confondus.

Il y a un point sur lequel je suis absolument d'accord : je ne peux pas citer une seule décision dans ma vie que j'aie prise en disposant de toute l'information. Toute action est incertaine, et l'information permet de réduire l'incertitude mais pas complètement. L’information est donc un produit (ou un service, comme on préfère) qui a une vraie valeur pour le consommateur, mais aussi un coût. Ce marché fonctionne comme les autres, avec des entrepreneurs qui détectent une opportunité de profit (les agences de rating, les cabinets d'expertise, etc) et des clients qui choisissent le produit qui correpond à leur besoin. Mais on a tendance à traiter l'information comme un produit différent des autres, qui ne coûterait rien, et dont on n'aurait jamais assez. L'Etat devrait donc intervenir pour que le consommateur ait toujours plus d'information. Comme pour les autres produits, cette démarche a plusieurs inconvénients : 1) la qualité de l'information en question est choisie par l'administration, elle a tendance à se focaliser sur des aspects quantitatifs qui ne sont pas nécessairement ceux que le consommateur valorise le plus, 2) si on force les producteurs à fournir trop d'information, cela finit par coûter cher, et 3) le jugement des consommateurs s'émousse, car ils perdent l'habitude de faire jouer la concurrence, "achètent" contraints et forcés l'information définie par la loi, et ne s'informent pas assez sur les produits qu'ils achètent. On se retrouve donc avec un résultat contraire à ce qui était recherché : des produits trop chers et qui ne correspondent pas à nos besoins.

Dans le cas des voitures, c’est un bel exemple dont on peut faire l’expérience : on sort de chez le concessionnaire avec une belle voiture neuve, et 5 minutes plus tard elle a déjà perdu 15% de sa valeur s’il nous vient la fantaisie de vouloir la revendre immédiatement. La seule explication de cette aberration, c’est que perdre l’étiquette « voiture neuve » introduit une asymétrie d’information qui, dans ce cas, joue en défaveur du vendeur.

Le but étant de revendre sa voiture le plus cher possible, on a plusieurs options pour faire une bonne vente. On peut la faire expertiser. On peut proposer à l'acheteur de lui offrir l'expertise par le cabinet de son choix. On peut même proposer à l'acheteur une garantie de reprise du véhicule avec remboursement intégral. La garantie constructeur peut être transférable du vendeur à l’acheteur, et que sais-je encore. C'est l'intérêt du vendeur de supprimer l'asymétrie d'information, et il peut le faire. La question est : peut-il le faire pour un coût modique ? Par exemple, peut-il convaincre l'acheteur pour moins de 500 euros que la voiture est en parfait état ? Réponse : oui, et c'est ce qui se passe. Ca n'est pas pour dire que tout les vendeurs sont honnêtes, ce serait naïf. Mais lorsqu'il existe une asymétrie d'information sur un marché, qu'elle persiste, et qu’aucun entrepreneur ne vient l'éliminer, on peut parier que c'est parce qu'elle a assez peu de valeur pour les acheteurs. C'est le cas pour certaines arnaques sur les baladeurs MP3 sur eBay, par exemple, qui sont hackés pour que la mémoire affichée à l'écran soit plus grande que la réalité.

2 commentaires:

Unknown a dit…

La raison pour laquelle une voiture perd de la valeur en sortant de la concession provient du fait que la TVA a ete payee pour la voiture neuve et ne sera pas payee sur le marche de l'occasion : peu de choses à voir avec la theorie de l'information.

Gilles

Arnold M a dit…

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