24 mars 2006

L'audition du juge Burgaud

Lors de son audition par la Commission Outreau, le juge Burgaud a été questionné sans ménagement par les parlementaires. Souvent, les questions portaient moins sur la procédure pénale qu’il était chargé d’appliquer, que sur la façon dont il l’avait appliquée. A-t-il pris la bonne décision ? réagi correctement ? fait son travail de façon professionnelle ? avait-il suffisamment d’expérience ? Il avait le trac, et devait parfois solliciter ses deux avocats pour trouver ses mots, rassembler ses idées, et apporter une réponse cohérente en s’adressant à tous ces yeux braqués sur lui. Trac, traqué, traquenard, tous ces mots ont une même étymologie…

Après avoir regardé quelques passage de la retransmission (http://www.assemblee-nationale.fr/12/commissions/outreau/) je me suis demandé, non pas « Est-ce bien ainsi que cela devait se passer ? Est-ce juste ? » mais « Quelles peuvent être les conséquences de ce type d’audition sur le fonctionnement de la Justice ? ». Et je propose une réponse basée sur la psychologie…

Tout d’abord je fais l’hypothèse qu’on peut considérer que le système judiciaire a un rôle de « détecteur de vérité ». Dans une affaire criminelle, il est rare que le juge puisse accéder directement à la vérité. Il n’a pas vu lui-même le crime, et doit se forger une conviction sur la base de témoignages, preuves, faits plus ou moins objectifs, expertises, etc. Il peut donc y avoir des échecs du système qui se traduisent par la remise en liberté d’un criminel dont on n’a pas pu établir la culpabilité, ou bien, comme dans l’affaire d’Outreau, par l’emprisonnement d’innocents.

Comme tout système de détection, le système judiciaire est caractérisé par deux paramètres : son seuil de détection, et sa sensibilité. Le seuil de détection représente la quantité de preuves que l’on estime nécessaire pour établir la culpabilité de l’inculpé. Si l’on abaisse le seuil on laisse échapper moins de criminels, mais on met plus d’innocents en prison, c’est le prix à payer pour la sécurité. Et il est utile de rappeler que, ce système étant humain il n’est pas parfait, et que de ce fait il y a eu – et il y aura – des erreurs judiciaires et des crimes impunis.

La Commission Outreau a pour objectif de perfectionner le système. La première façon de procéder consiste à augmenter sa sensibilité. Cela consiste à mettre en œuvre plus de moyens (procédure, police judiciaire, police scientifique, etc.) afin de faire la différence entre une vraie culpabilité et une fausse innocence. De nombreuses dispositions vont déjà dans ce sens, comme par exemple le jury. Dans la mesure ou une personne peut se tromper, un jury composé de plusieurs personnes a statistiquement moins de risque de faire une erreur de détection.

Les expériences en psychologie dans ce domaine (voir http://gusifang.blogspot.com/2006/03/great-ideas-of-psychology.html Lecture 9) montrent que l’humain est un système de détection beaucoup plus sensible qu’on ne le pense généralement, mais également très influençable. Le fait de dire aux juges « Vous devez absolument éviter les erreurs judiciaires, sinon vous risquez de passer à la casserole devant une commission parlementaire » n’est pas sans conséquences sur leur comportement. Ils vont probablement être plus consciencieux, et tenter d’améliorer la sensibilité du système, mais l’effet en sera limité parce que cela suppose des moyens et a donc un coût. L’autre effet, qui risque d’être beaucoup plus significatif, sera d’augmenter le seuil de détection pour éviter une nouvelle affaire Outreau. Et ceci se traduira par la remise en liberté de plus de criminels.

Evidemment, remettre plus de criminels en liberté pour réduire le nombre d’erreurs judiciaires n’est pas très satisfaisant. Il y a nécessairement un compromis à trouver, mais rien n’indique que l’équilibre actuel soit foncièrement mauvais. En revanche, améliorer la sensibilité du système judiciaire est un objectif beaucoup plus intéressant. Pour y arriver il faut raffiner les procédures, la formation des juges, l’organisation générale du système. Mais cela peut aussi nécessiter une augmentation des dépenses de justice pour mettre en œuvre des moyens de détection supplémentaires. Il n’y a donc pas de système idéal sauf à avoir un budget infini. C’est au Parlement de décider après son étude si il estime que le système actuel est trop grossier, et que ses inconvénients pour la société sont tels qu’ils justifient un investissement supplémentaire d’un certain montant.

La première conséquence – l’augmentation du seuil de détection – me paraît aujourd’hui pratiquement certaine, compte-tenu de l’impact psychologique de l’affaire d’Outreau. La deuxième – l’amélioration de l’efficacité de la Justice avec éventuellement plus de moyens – est beaucoup plus difficile à réaliser. C’est là que les parlementaires doivent porter leurs efforts.

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