Arte a présenté hier soir le film de Hubert Sauper, suivi d'une discussion avec le réalisateur.
Le ton était donné par une pub passée dans Le Monde. "Vous ne mangerez plus jamais de perche du Nil", "catastrophe écologique", "débat sur la mondialisation" : Arte a clairement pris position, il n'est pas permis d'en douter. Le débat qui suit le film conforte cette impression : accord unanime pour reconnaître qu'il y a en Afrique trafic d'armes, pauvreté, prostitution, et SIDA. Hubert Sauper confirme d'ailleurs que son propos n'est pas de prouver ce que tout le monde sait. L'autre invité, Elikia M'Bokolo, est directeur d'études à l'EHESS. Il enfonce le clou : les images sont vraies, elles nous montrent ce qui se passe vraiment en Afrique.
Arrivé à ce stade du débat j'étais consterné. Bien sûr, ces problèmes existent en Afrique, personne ne le conteste. Mais ce n'est pas ça qui pose problème, ce n'est pas sur cette question que nous voulons entendre Hubert Sauper. Le problème est que son film ne nous montre que la misère, puis nous présente un commerce international de perche du Nil, et nous invite à tirer la conclusion suivante : ce commerce est la cause de toute cette misère; l'Occident et le capitalisme sont responsables des maux de l'Afrique. C'est là-dessus qu'on aurait aimé entendre les explications d'Hubert Sauper, pas sur le fait que l'Afrique connaît mille maux et que les images qui en résultent sont émouvantes. Comment le journaliste d'Arte pouvait-il passer à côté de cette question?
"Post hoc ergo propter hoc". Il ne suffit pas de montrer deux événements côte à côte pour prouver que l'un est la cause de l'autre. Ce procédé rhétorique facile est pourtant souvent utilisé, et toujours aussi efficace. Du poisson est exporté et des enfants manquent de nourriture donc le commerce de poisson prive les Africains et nourrit les occidentaux. Mais quelles sont les conditions de vie des Tanzaniens qui ne bénéficient pas du commerce de la perche : sont-ils mieux ou moins bien lotis que ceux que nous voyons dans le film? Des Russes viennent à Mwanza et il y a des prostituées et le SIDA donc la présence de célibataires russes est la cause de l'épidémie à Mwanza. Mais qu'est-ce qui explique dans ce cas qu'un tiers du Botswana soit séropositif, loin des aéroports et de la mondialisation? Des entreprises du Nord font du commerce avec la Tanzanie et du trafic d'armes a lieu en Afrique donc le commerce est responsable du trafic d'armes et des nombreux conflits armés en Afrique, etc.
Après avoir posé que la mondialisation est responsable de tous ces malheurs, la question "que faut-il faire?" n'a plus lieu d'être posée. La réponse est évidente, il faut arrêter la mondialisation. Enfin, ne voyez-vous pas tous ces problèmes que pose le commerce international? Arrêtons tout cela immédiatement! Quand le diagnostic est faux, le remède l'est tout autant, comment pourrait-il en être autrement? Espérons donc que l'imprécation d'Arte "Vous ne mangerez plus jamais de perche du Nil" restera sans effet, que nous continuerons de manger de ce poisson, et que Mwanza trouvera dans ce commerce les ressources dont elle a besoin pour se développer.
Références :
- Texte de François Garçon et réponse d'Hubert Sauper dans Les temps modernes
- Site d'Arte sur l'émission, le débat, et la controverse
- Site d'Econoclaste et liens intéressants au sujet du film
25 avril 2006
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2 commentaires:
Je me permet de vous soumettre le lien de l'emission Arret sur image consacre au "film documentaire" ( hum...) De Saupert:
http://www.france5.fr/asi/007548/33/134199.cfm
tres instructif.
( ps: tres bon blog! ^^)
Interessant. Cela me rappelle Michael Moore, qui parfois dérape un peu dans ses enchainements logiques. Exemple (tiré de Bowling for Columbine) : Il y a beaucoup d'armes aux USA et beaucoup de violence. Il y a beaucoup d'armes au Canada et très peu de violence. Donc, c'est l'agressivité structurelle du male américain qui est responsable de la violence et non la prolifération des armes.
Ce qu'il oublie de dire, c'est que les armes au Canada sont des vieux fusils de chasse rouillés, alors qu'aux USA, il est très facile de se procurer un fusil d'assaut.
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