Imaginons un marché où les noix sont vendues par sacs de 1kg. Il arrive que certaines noix soient pourries, mais le consommateur ne dispose malheureusement d’aucun moyen pour le savoir à l’avance. Il se peut que le sac qu’il a acheté ne contienne qu’une ou deux noix pourries, ou au contraire qu’il soit à moitié immangeable. Le producteur, lui, est beaucoup mieux informé. Il connaît l’humidité et la température auxquelles les noix ont été soumises, et il peut estimer avec une certaine fiabilité la proportion de noix pourries. Il n’a aucune certitude, et ne pourra donc jamais garantir au client qu’il aura un sac parfait. Mais il peut améliorer ses méthodes de travail et réduire progressivement la probabilité qu’une noix soit pourrie, moyennant quelques investissements en hommes et en matériel. Combien vaut un sac « deux étoiles » avec 1% de noix pourries, par rapport à un sac « une étoile » qui est à 10% ?
Si il étaient étiquetés comme tels, en se basant sur l’expérience du producteur, le client pourrait choisir le niveau de qualité qui lui convient. Les deux sortes de sacs cités plus hauts seraient donc des produits distincts, avec chacun un prix déterminé par l’offre et la demande pour ce niveau de qualité précis. Il sera alors très tentant pour certains producteurs d’étiqueter deux étoiles sur un sac qui n’en mériterait qu’une. Le client n’ayant aucun moyen de contrôle a priori, il ne s’en rendra compte qu’après avoir largement entamé le sac et ira alors protester. Le producteur indélicat lui répondra que l’indication de deux étoiles ne saurait être une garantie d’un taux de 1% exactement. Statistiquement, certains sacs sont à 0,5% et d’autres à 2% et on ne peut exclure que certains – quoique très rarement – soient à 10%. Certes, le client échaudé ne retournera pas chez ce producteur, mais comme un consommateur moyen ne mange qu’un sac de noix par an de toutes façons, ce moyen de pression ne fera pas changer le producteur malhonnête. Restera la possibilité de diffuser l’information, afin que les autres clients soient mieux informés, mais cela demande beaucoup d’énergie et le premier client n’a rien à y gagner pour lui-même.
Vient alors un passant, qui propose que l’Etat se lance dans la production de noix. Sa mission étant de servir l’intérêt général, il devra étiquer correctement les sacs, selon l’état de l’art des techniques de production de noix. L’Etat embauche donc des personnes spécialement formées et leur demande de mettre en place une organisation efficace pour produire ce bien. Au cours de ce processus, un fonctionnaire bien intentionné, qui a lu que la consommation de noix avait toutes sortes d’effets bénéfiques pour la santé, croit bon d’ajouter que les plus pauvres comme les plus riches devront en recevoir. Pour atteindre cet objectif, on demandera dorénavant à chaque citoyen une contribution forfaitaire annuelle, correspondant au prix d’un sac de noix à deux étoiles. Accessoirement, les quelques clients qui achetaient des noix pour faire des bateaux pour leurs enfants avec une allumette et un peu de cire en sont pour leurs frais. Ils viennent de voir disparaître le marché des sacs à une étoile. Mais comme la qualité des noix est bonne, et que le prix n’a pas changé, la majorité des gens sont satisfaits. Insensiblement, certains augmentent même leur consommation, et le système de production connaît quelques tensions.
Le progrès technique aidant, on découvre qu’il est possible de produire des sacs à 0,1% et quelques unités gouvernementales se lancent dans cette production révolutionnaire. Bientôt, c’est la ruée : les consommateurs font la queue pour venir réclamer leur sac à trois étoiles au guichet du Centre de Production de Noix. Devant le mécontentement croissant des usagers, que l’on n’arrive pas à servir dans des délais raisonnables, la décision est prise d’augmenter massivement la production de sacs à trois étoiles. Lors de l’élaboration du budget, le trésorier du CPN déclare qu’il faut doubler son budget pour réaliser les investissements nécessaires. Ainsi, la cotisation forfaitaire des contribuables est promptement doublée pour leur plus grande satisfaction.
La santé présente quelques analogies avec le marché des noix tel qu’il est caricaturé ici. Un médecin en saura toujours plus que son patient sur l’utilité a priori des soins qu’il va lui prodiguer. Si on laisse fonctionner le marché sans aucune intervention extérieure, on peut craindre que certains médecins n’incitent leur patient à se lancer dans des soins inutilement coûteux. Les plus malhonnêtes tenteront de vendre très cher des soins insuffisants ou dangereux pour la santé du patient, mais ils perdront rapidement leur clientèle. Le principal risque dans une telle situation est de voir augmenter les dépenses au-delà de ce que les patients auraient été prêts à payer si ils avaient été correctement informés. On avance cette explication pour justifier l’inflation des dépenses de santé aux Etats-Unis. Allant plus loin, certains diront que les patients sont inaptes à prendre des décisions dans un domaine aussi complexe, et doivent s’en remettre au médecin. Cette vision tout à fait méprisante du patient ne reflète pas, me semble-t-il, la réalité, sauf pour des cas extrêmes de personnes handicapées ou dont le jugement est altéré.
Supprimer le prix comme on le fait dans un système public de santé peut avoir des inconvénients. Une crainte est que le patient se mette à consommer plus de soins parce qu’il ne paie pas sa consommation. Les études montrent que ce n’est pas le cas, et qu’on ne va pas chez le médecin ou faire une radio pour le plaisir, même lorsque la consultation est gratuite. En revanche, lorsqu’on y va, on demande toujours les soins les plus efficaces et les plus coûteux. Le médecin comme le patient regardent d’autant moins à la dépense qu’ils ne la supportent pas. Pourtant il faut reconnaître que certains patients sont prêts à dépenser plus pour être plus soignés et que, ce qui revient au même, d’autres souhaiteraient dépenser moins quitte à être moins soignés, si on en leur laissait la possibilité. Les patients ont des désirs différents, qu’ils sont les seuls à connaître. Ils devraient être en droit de choisir le médecin qu’ils souhaitent en fonction du prix qu’ils sont prêts à payer. Que leurs dépenses soient prises en charge par une assurance ou non, ils feront jouer sainement la concurrence entre secteur public et secteur privé et détermineront eux-mêmes le niveau correct de dépenses sans se le faire imposer par l’administration.
Cette analyse très grossière laisse de côté de nombreuse questions plus subtiles. La principale est la santé publique. En effet, si on peut laisser un patient libre de ne pas se soigner, on ne peut pas, sous prétexte de respecter sa décision, le laisser contaminer tout son entourage. Un autre argument est qu’il est humainement impossible de laisser sans soins une personne malade qui n’a pas les moyens de se les payer. Mais les faits démontrent exactement le contraire : qui s’arrête à chaque fois qu’il voit un clochard pour lui demander si il a besoin de quelque chose ? Le fait de savoir que la collectivité se chargera – plus ou moins bien – des plus indigents fait que nous nous en remettons à l’altruisme des autres pour leur venir en aide au lieu de le faire nous-mêmes.
27 septembre 2006
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1 commentaire:
Bien d'accord sur le fait que c'est souvent l'offre de soin qui drive le marché et non la demande.
Je viens de faire une note détaillée sur le sujet :
http://rudelle.blogspirit.com/archive/2006/09/29/la-face-obscure-du-trou-de-la-secu.html
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