04 janvier 2006

Emission : la psychanalyse a-t-elle encore un avenir?

La psychanalyse a-t-elle encore un avenir ? Répliques, France Culture 22 janvier 2005 – Alain Finkielkraut


Débat entre Charles Melman, psychanalyste, et Joëlle Proust, philosophe, animé par Alain Finkielkraut.

Thèse de Melman : La biologie a fait de tels progrès récemment qu’elle devient le mode de pensée dominant, prompt à remplacer les traditions quasi-culturelles comme la psychanalyse. Le cognitivisme est une école, qui emploie un vocabulaire actuellement à la mode du fait de la prédominance de la biologie, mais dont la durée de vie ne sera pas plus longue que celle de la psychanalyse. Il faut prendre garde, car une telle situation a déjà existé dans le passé et a servi à justifier des orientations politiques tout à fait inacceptables. On pouvait parler alors de « Darwinisme social ».

Réponse de Proust : La biologie ne doit pas être réduite à une théorie telle que le Darwinisme social, mais doit nous permettre de prendre en compte notre héritage venant des autres espèces. De même, il vaut mieux parler de sciences cognitives, le cognitivisme n’étant qu’une école particulière. Ce que les sciences cognitives étudient, c’est le lien de causalité entre différents facteurs internes et externes, et notre pensée, notre comportement.

Exemple : Devient-on schizophrène parce qu’on a eu dans son enfance des événements qui expliquent le délire ? Ou bien devient-on schizophrène du fait d’une pluralité de causes neurologiques et environnementales, le délire s’exprimant ensuite par des pensées qui s’appuient sur notre passé.

Comment agit-on sur les neurones ? Par des molécules, par la chirurgie, mais aussi par la conversation. Les sciences cognitives ne négligent donc pas le dialogue avec le patient, au contraire.

Melman : Le modèle des sciences cognitives consiste à assimiler le cerveau à un ordinateur qui traite toutes sortes d’information. On a donc l’impression que ce modèle est mis en place à partir d’options philosophiques, et n’a que l’apparence d’une démarche scientifique.

C’est vrai, il y a des troubles où les sciences cognitives ont prouvé leur supériorité : les TOC, les phobies, les troubles alimentaires. Lorsqu’on étudie les méthodes mises en œuvre, il s’agit de suivre une procédure qui vise à persuader le patient, ce n’est rien d’autre que de la suggestion. On s’intéresse plus aux symptômes qu’au sujet.

Melman décrit alors une étude statistique qu’il a réalisée sur des centaines de nourrissons autistes de quelques mois. Les nourrissons ont été filmés, certains signes montrent qu’ils sont en train d’entrer dans l’autisme, et des « interventions simples qui concernent essentiellement une action transitoire au nivau de l’entourage » permettent alors de les en sortir. Il manque à ces nourrissons une attention particulière qui peut « allumer » leur attention, en particulier pour leur entourage, par exemple pour le visage maternel. Ces interventions sont médicales, mais elles partent de présupposés psychanalytiques.

On constate chez les autistes un applatissement du pli pariétal, mais est-ce le résultat ou la cause de la condition de l’autiste ? Pour le savoir, il faut faire des recherches, or les crédits vont aujourd’hui aux neurosciences. Lors de cette discussion sur les crédits de recherche, Melman reproche aux sciences cognitives et neurosciences de draîner tous les financements et de ne laisser aux psychanalystes aucuns moyens qui leur permettraient de valider leurs théories avec un langage plus moderne. On est dans le vif du sujet !

Melman parle de tests d’évaluation : A quoi va-t-on juger du succès d’une thérapie ? Comment définir la normalité psychologique, alors que même les constantes biologiques les plus élémentaires comme la glycémie varient d’un individu à l’autre ? Il confond la démarche scientifique, qui consiste à partir d’une hypothèse et la valider ou l’invalider par des tests, avec une soi-disant normalisation qui voudrait que tel comportement serait jugé « normal ».

Conclusion : Finkielkraut avoue son ignorance concernant les sciences cognitives et les neurosciences, alors qu’il a assimilé le vocabulaire psychanalytique comme tout un chacun. Il est représentatif de l’honnête homme. Les sciences cogntives et neurosciences ne sont sont en effet pas un corpus philosophique destiné à permettre à chacun de vivre mieux, mais un sujet scientifique pointu reservé à quelques savants. C’est bien ainsi : on n’est pas gastro-entérologue parce qu’on a un cancer du colon. Ses questions sont orientées vers les applications thérapeutiques, ce qui est très rassurant, car c’est en effet par ce biais là que les sciences cognitives ont pris le pas sur la psychanalyse et démontré leur supériorité dans le traitement de certains troubles. Il ne faut pas négliger l’influence du modèle cybernétique du cerveau, auquel les sciences cognitives doivent sans doute une partie de leur notoriété, ni la mode engendrée par les progrès récents de la biologie. Ce sont des modèles puissants pour ceux qui, sans s’y soumettre de façon dogmatique, sauront s’en emparer et les intégrer à leurs théories. Je cherche encore le psychanalyste qui aurait eu cette démarche.

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