Ken Lay était PhD en économie, et fut l’un des premiers à prôner la déreglementation des marchés de l’énergie, en particulier celui du gaz. Il contribua à la décision de Washington de mettre en œuvre la déreglementation de ces marchés afin d’accroître l’efficacité économique des Etats-Unis. Comme le résume Ronald Reagan dans un discours : « Government is not the solution to our problem. Government IS the problem. […] believe in the magic of the marketplace ».
Ken Lay fonda Enron en 1985. Avec son réseau de pipelines de distribution de gaz, Ken Lay pensa à juste titre qu’Enron profiterait de la décision gouvernementale de laisser le prix du gaz flotter au gré du marché. Ken Lay n’était pas tout seul. Quelques businessmen texans partagaient son désir de voir le gouvernement sortir du business de l’énergie. Ken Lay était très proche de George Bush senior, mais alors qu’il était gouverneur du Texas, George W. Bush n’hésita pas à décrocher son téléphone pour aider Ken Lay. Le film montre la très grande proximité qui existait entre la famille Bush et Ken Lay.
Déjà à cette époque – en 1986 –, Enron est impliquée dans un scandale financier. Deux de ses traders sur le marché du pétrole prennent des risques inconsidérés au nom d’Enron, générant d’immenses profits, et transfèrent illégalement de l’argent sur leurs comptes personnels, notamment une société au nom de « M. Yass » (my ass). Lorsque le board d’Enron est informé, Ken Lay ne prend aucune mesure, considérant que cette activité était la seule activité rentable de la société et qu’il ne pouvait pas tuer la poule aux œufs d’or. Ken Lay résume ceci dans un telex adressé au collaborateur concerné : « Please keep making us millions ». Ainsi encouragés, les traders ont spéculé de plus belle, jusqu’à ce que leur chance se retourne. Lorsque le scandale éclate, ils ont spéculé 90 millions de dollars en cinq jours et Enron évite la faillite de justesse.
Jeff Skilling est le deuxième personnage de cette histoire. Plutôt qu’une entreprise qui produit et transporte du gaz, Jeff Skilling est un visionnaire qui souhaite construire une bourse électronique de l’énergie. Transformer l’énergie en instruments financiers pouvant être échangés en Bourse comme des actions ou des obligations, pour créer une entreprise d’un type nouveau, telle était sa vision. Enron devient alors le principal acheteur et vendeur de gaz naturel en Amérique du Nord. Mais avant de rejoindre de rejoindre Enron, Jeff Skilling avait posé une condition : il avait exigé de pouvoir utiliser la technique comptable du « mark-to-market ». Sans rentrer dans les détails, cette pratique permet de comptabiliser des profits potentiels futurs dès le premier jour où l’investissement est fait. Cette technique est très subjective, et personne ne peut prouver que les profits potentiels sont réalisable. Mais dès lors que l’auditeur d’Enron, Arthur Anderse, approuve l’utilisation de cette pratique, cela permet à Enron d’afficher les bénéfices… qu’elle souhaite !
A la fin des années 1990, c’est l’irrésistible ascension en Bourse. Enron construit une centrale en Inde, décerne à Alan Greenspan le « Enron Prize for distinguished public service », et… fait son entrée sur le marché de l’électricité en rachetant Portland General Electric. Sa position dans l’Ouest américain donna à Enron un accès au marché californien de l’électricité, récemment déreglementé. Il faut voir la vidéo d’une convention d’entreprise au cours de laquelle les dirigeants d’Enron rigolent en disant à leurs cadres : « Devons nous investir tous nos 401K (plan d’épargne retraite privé pour les employés) en actions Enron ? Absolument ! Ha ! Ha ! ».
A cette époque, alors que le business d’Enron continue de perdre de l’argent, son action ne cesse de monter et les analystes financiers ne tarissent pas d’éloges à son sujet. Voyant l’envolée des startups .com, Enron décide début 2000 de se lancer dans le trading de la bande passante. Captiver Wall Street avec un nouveau projet, construire un marché de la bande passante « commoditisée » comme Enron l’a déjà fait pour l’énergie, telle est la nouvelle vision de Jeff Skilling. Le marché adore, l’action gagne 34% en deux jours ! La technologie ne marchait pas, et le contrat avec Blockbuster (boutiques de location de DVD) pour distribuer des vidéos par Internet tourne court, mais la magie du « mark-to-market » permet à Enron de comptabiliser 53 millions de dollars de résultat avant d’avoir réalisé le premier dollar de chiffre d’affaires. On sait aujourd’hui qu’à cette époque, Ken Lay avait vendu pour 300 millions de dollars de stocks options, et Jeff Skilling 200 millions. Et c’était avant qu’Enron ne lance un nouveau produit financier – les options météo – et n’affichent dans une nouvelle convention d’entreprise leur nouveau credo : from « The World’s leading energy company » to « The World’s leading company »…
C’est alors qu’entre en scène un troisième personnage, un lieutenant de Jeff Skilling du nom d’Andy Fastow, le Directeur Financier d’Enron. Son job était de masquer le fait qu’Enron était devenue une baudruche financière, et continuer d’afficher un résultat positif malgré que le cash flow soit négatif année après année. Sa technique : les financements structurés. Fastow créa des centaines de filiales afin de réaliser son tour de magie : faire rentrer du cash avec la complicité des banquiers d’affaire et dissimuler la dette derrière un écran de fumée. Le nom de ces filiales : Jedi, Raptor. N’oublions pas de préciser que Andy Fastow se servait au passage. A ce stade, tous les acteurs étaient liés dans une toile d’araignée tissée très fin : les auditeurs Arthur Andersen, le cabinet d’avocats d’Enron, la plupart des analystes financiers, les banquiers d’affaires. Tout est dit dans un email interne de l’une des institutions financières en question : « Enron loves these deals, they produce cash, but they don’t have to show the debt on the balance sheet ». Un des rares analystes à avoir soulevé le problème à cette époque fut « remercié » sous un faux prétexte par son employeur Morgan Stanley, lequel hérita simultanément de deux mandats de banque d’affaires pour Enron d’un montant de 50 millions de dollars.
Le 17 avril 2001, lors d’une conférence téléphonique donnée par Jeff Skilling aux analystes sur les résultats du premier trimestre, les premières fissures apparaissent. Un analyste déclare : « Vous êtes la seule institution financière qui ne peut pas produire un bilan ou une situation de trésorerie en même temps qu’un compte de résultat ». Et Jeff Skilling de répondre : « Vous, vous, vous… Euh… Merci beaucoup, nous apprécions cela… Trou du cul ! (asshole) ».
Mais la branche énergie d’Enron est au bord de la faillite, et c’est alors qu’un nouvel événement vient à la rescousse du groupe : ce miracle s’appelle
A l’intérieur d’Enron, un trader – Tim Belden – est le spécialiste de cette loi et étudie toutes ses failles. Il les utilise pour élaborer au profit d’Enron des stratégies financières aux noms évocateurs tels que « Wheel out », « Get shorty », « Fat boy », « Death star », « Ricochet ». Les traders d’Enron se mettent ainsi à étudier toutes les combinaisons possibles pour déplacer l’électricité sur le réseau de l’Ouest des Etats-Unis dans le but de faire grimper le prix du Kw/h our forcer les producteurs à payer une taxe artificielle pour emprunter certaines artères du réseau de transport.
Mais une fois qu’on a mis le doit dans l’engrenage, il n’y a plus de limites… Le film nous livre alors des enregistrements audio de conversations entre ces traders et une centrale de production : « Salut, c’est David chez Enron. La demande d’électricité n’est pas très forte par ici. Si on ferme la centrale, peux-tu la remettre en marche dans 3 ou 4 heures ? », « Oui, pas de problème », « Pourquoi tu fermes pas, alors, c’est ok ? », « OK ». Et les centrales ferment « pour maintenance » de plus en plus souvent, tandis que le prix du Kw/h, habituellement autour de 50 dollars, fait des pointes au-dessus de 1000 dollars. Lors d’une autre conversation, entre le responsable d’une centrale et un trader d’Enron : « Les gars, je voudrais que vous soyiez un peu plus créatifs et trouviez une bonne raison de fermer la centrale », « Comme une fermeture forcée par exemple ? », « C’est ça ». Mais le clou du spectace arrive lorsque des feux de forêt se produisent près d’une ligne haute tension : « Qu’est-ce qui se passe ? », « Il y a un feu sous l’artère, on l’a dégradée de 4500 à 2100 (NB : sa capacité de transport a été réduite) », « Burn, baby, burn ! », « C’est magnifique ! ». On comprend en entendant ces témoignages accablant que les traders d’Enron sont le dernier personnage de l’histoire.
Mais l’histoire de l’électricité en Californie ne s’arrête pas là. George W. Bush a été élu président des Etats-Unis quelques mois plus tôt. Pendant toute la crise de l’énergie, le gouverneur démocrate de Californie Gray Davis fait appel au gouvernement férédal pour trouver une solution, mais le président George W. Bush répond qu’il ne peut rien faire sinon demander aux Californiens de se comporter en bons citoyens et de réduire leur consommation. Il fait des déclarations télévisées affirmant que « le contrôle des prix ne résoudra pas le problème ». Déstabilisé par la crise de l’énergie, Gray Davis fait l’objet d’une procédure politique exceptionnelle – le recall – qui conduira à sa destitution par referendum et à l’élection du républicain Arnold Schwartzennegger. De là à penser qu’il y avait convergence d’intérêt entre George W. Bush et son ami Ken Lay il n’y a qu’un pas…
Un jour cependant, la chute arrive, l’action s’effondre, Jeff Skilling démissionne brutalement d’Enron en août 2001. Tout s’enchaîne alors rapidement : la SEC (l’autorité des marchés financiers américaine) déclenche une enquête, le 23 octobre 2001 Arthur Anderse passe à la broyeuse plus d’une tonne de documents concernant Enron, tandis que Ken Lay continue de déclarer aux investisseurs comme aux salariés que « tout va bien ». Mais Enron dépose son bilan, et les salariés sont licenciés avec 30 minutes pour rassembler leurs affaires et quitter l’immeuble.
Un lignard de Portland General Electric qui a, toute sa vie durant, économisé sur son plan 401K, explique comment une fois converti en actions Enron, son plan est monté jusqu’à 348.000 dollars. Mais il est redescendu à 9 dollars… Entre-temps, ses actions ont été bloquées du fait de la procédure judiciaire, alors que Ken Lay et sa bande avaient pu vendre leurs actions à temps. Arthur Andersen, une entreprise centenaire leader mondial dans l’audit, a disparu dans ce naufrage. Et le spectateur de se poser la question : « Où doit-on chercher la responsabilité de cette catastrophe ? Dans l’essence du système capitaliste ou dans les failles des humains qui le font marcher ? Ceci pourrait-il se reproduire ? En avons-nous tiré toutes les conséquences ? »
On comprend maintenant pourquoi la devise d’Enron était : « Enron. Ask why »
1 commentaire:
Depuis le dépôt de bilan, la loi Sarbanes-Oxley a été votée aux Etats-Unis pour prévenir de telles catastrophes à l'avenir. Il s'agit du plus profond remodelage de la loi relative aux marchés financiers, depuis le New Deal (1933 Securities Act qui figure dans tous les actes d'achat d'actions signés de nos jours).
En janvier 2006 commencera le procès de Jeffrey Skilling et Kenneth Lay.
L'agence fédérale de régulation de l'énergie (FERC), qui s'était fait critiquer pour son mutisme pendant la crise californienne, a rendu publics 500.000 e-mails d'Enron (http://www.cs.cmu.edu/~enron/enron_mail_030204.tar.gz).
Avant de jeter la pierre au capitalisme américain, nous devons également nous demander si nous avons pris autant de mesures sanitaires en France depuis l'affaire du Crédit Lyonnais dont l'ardoise a été estimée à plus de 16 milliards d'euros.
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