10 janvier 2006

Livre : Traitement psychanalytique du bébé avec ses parents



Extraits de « Traitement psychanalytique du bébé avec ses parents » publié par le Centre Alfred Binet, où travaille le docteur Françoise Moggio. J’ai retenu dans l’introduction rédigée par la directrice du centre, ainsi que dans l’article du Docteur Moggio, quelques phrases qui me semblent représentatives de la théorie psychanalytique, en toute subjectivité.

Introduction

Un évitement du regard chez un bébé qui se détourne ainsi activement de sa mère, une attitude de retrait ou une inhibition motrice durables chez un bébé sont des signes qui peuvent révéler aussi bien une dépression de l'enfant, qu'un état douloureux somatique ou encore un risque d'évolution autistique.

Il s'agit notamment de pouvoir renoncer à sa propre place d'enfant sans provoquer un vécu de perte et d'abandon, ni déclencher une blessure narcissique, souvent révélatrice de failles anciennes. Le ressentiment qui peut en résulter rendrait difficiles les identifications aux imagos parentales, pourtant nécessaires pour devenir parents.

C'est dans ces liens, dans les représentations conscientes mais aussi inconscientes, que les parents ont d'eux-mêmes bébé avec leur propre mère, que s'inscrira la relation qu'ils pourront établir avec leur propre bébé. Ce dernier, par ce qu'il est et par ce qu'il va réactiver ou éveiller chez les parents, est aussi un acteur essentiel de la construction de la relation parents-bébé.

Dans les traitements d'enfants plus grands, seuls avec l'analyste dans des séances, le jeu, les dessins, donnent accès au fil associatif des pensées conscientes et inconscientes de l'enfant et permettent le travail associatif et interprétatif de l'analyste, conduisant celui-ci à l'élaboration du transfert.

Ce qui est sûr, c'est que l'investissement de l'analyste par le bébé est un élément fondamental du dispositif thérapeutique.

Ici, l'attention flottante laisse place à une attention vigilante particulière, qui ressemble au fond à l'état d'alerte intérieure de la préoccupation maternelle primaire décrite par Winnicott, mais tournée ici vers l'ensemble « parents-bébé », c'est-à-dire vers chacun d'eux et aussi vers leurs liens. La relation précoce constitue une préforme de la relation objectale. L'objectif thérapeutique est de permettre que celle-ci se construise, que soient sauvegardées les capacités de représentation de l'enfant, assurant son bon développement psychique.

La nécessaire évaluation des traitements précoces soulève ainsi la question théorique des traces mnésiques liées aux premières représentations.

Les chapitres qui constituent cet ouvrage témoignent du travail clinique et thérapeutique réalisé par des psychanalystes du Centre Alfred Binet, où un groupe d'entre eux consacre, depuis bientôt quinze ans, une part de ses activités cliniques aux traitements de nourrissons.

Françoise Moggio illustre la question de l'interprétation et des aspects techniques du travail de l'analyste dans les traitements précoces. Elle nous relate ici les premiers mois de la thérapie parents-bébé d'un enfant de un an présentant des troubles du sommeil : elle nous montre les effets d'une interprétation œdipienne survenue dès le début du traitement, et son devenir.


Une interprétation œdipienne précoce

Françoise Moggio

J'ai choisi d'illustrer ces réflexions par la relation des premiers mois d'une thérapie conjointe d'un bébé lourdement insomniaque, thérapie où je me suis montrée très rapidement active sur le plan interprétatif.

La première rencontre

Gaston a 8 mois lorsque ses deux parents viennent en consultation. C'est un bébé superbe et, dit sa mère, « superbement chiant ».

Il recherche peu le contact avec ses parents, j'y reviendrai.

Mais il y a très certainement de ma part une non-prise en compte contre-transférentielle de la souffrance du bébé.

Gaston est monté sur les genoux de sa mère et s'est appuyé contre elle, enfin un peu tranquille. La mère dit a mon intention : « Ça ne lui arrive jamais. » J'en conclus que cette heure et demie n'a pas été inutile.

2è séance

Contre-transférentiellement identifiée au bébé, j'ai le sentiment que tout va un peu trop vite, qu'il n'y a pas assez de moments calmes et peut-être pas assez d'échanges langagiers explicitant les intentions maternelles ou les actions du bébé. Je me surprends à penser : « je voudrais plus de langueur », et ce mot qui me vient spontanément m'étonne, « langueur », « langoureux », le champ lexical est amoureux et plutôt féminin. Qu'en est-il de la phallicité de cette jeune femme, de son envie du pénis, de sa rivalité inconsciente avec son petit garçon ?

Autant de questions qui trouveront peut-être à se résoudre dans une thérapie conjointe qu'elle me demande expressément, et que nous commencerons un mois plus tard pour des raisons de calendrier.

3è séance

Gaston manifeste sa faim, un long temps est ensuite consacré au repas dans des conditions souvent difficiles, enfin nous terminons la séance. C'est là un dispositif particulier dont je peux me demander quelle valeur défensive il revêt, mais j'ai appris au fil des ans qu'en matière de traitement parent-bébé précoce la souplesse relative à l'intérieur du cadre est souvent une nécessité.

4è séance

Puis nous reprenons, et c'est Monsieur qui va se mettre à me parler longuement de lui, à travers une description de son travail qu'il fait avec plaisir. Lui me parlera plus volontiers de ses études, mais mentionnera néanmoins que tout petit il souffrait d'un eczéma et... dormait mal.

Les parents sont un peu stupéfaits et j'interprète, m'adressant à l'enfant : « Eh bien, Gaston, on dirait que tu n'es pas très content de voir que Papa parle tellement avec madame Moggio ; comme si tu avais peur d'être oublié par Papa et madame Moggio, peut-être comme tu as peur d'être oublié la nuit quand Papa et Maman font dodo ensemble et que toi, tu te réveilles et pleures pour les appeler. »

Une interprétation oedipienne classique mais insistant du côté des affects, faite à un bébé de neuf mois.

Les séances suivantes

C'est de cette façon que j'apprends que Madame a des migraines, qui parfois sont très invalidantes, tout comme sa mère, son père et son frère - une histoire de famille pour laquelle elle considère qu'il n'y a pas grand-chose à faire. Je lui fais remarquer en souriant que, s'il n'y a pas grand-chose à faire autour des histoires de famille, ma fonction s'en trouve fort amoindrie.

J'ai résumé ici un certain nombre des échanges qui m'ont paru significatifs ou intéressants et qui se sont déroulés sur plusieurs séances. Il me faut noter que cette famille est très assidue à nos rencontres (ils viendront en séance pendant les vacances), et je sens combien le traitement est investi par eux et paraît les satisfaire, bien que les symptômes de Gaston restent toujours aussi présents, voire s'enrichissent de problèmes autour des repas.

Il est très impatient, mais dès la première bouchée il va se mettre à pleurer et à repousser le petit pot ; il glisse des genoux de sa mère et les parents doivent le poursuivre dans la pièce pour le nourrir ou bien chercher a le distraire : j’acquiers petit à petit la conviction qu'avaler lui est douloureux; il ne s'agit en aucun cas d'un refus alimentaire, il ouvre grand sa bouche et donne tous les signes de l'excitation de la faim, mais pleure des qu'il avale.

On peut discuter du bien-fondé de cette attitude qui vient rompre la neutralité de l'analyste. Pour ma part je la revendique dans certaines situations, et particulièrement celle où une dimension somatique me semble exister chez l'enfant.

Elle se sent, au moment où elle me fait ce récit, très en colère contre l'environnement de la maternité : « Ils avaient des problèmes, ils s'occupaient mal de nous.. Monsieur, lui, va suivre un autre fil, évoquant les régurgitations de Gaston, et en particulier cet épisode, durant les vacances du mois de juillet, où le bébé a vomi pendant trois jours, perdu du poids; ils ont été très inquiets, des examens complémentaires ont été faits qui n'auraient rien montré.

Quelques séances plus tard

Les repas sont plus faciles aussi, mais Monsieur me redit sa réticence au traitement médicamenteux qu'il est très difficile d'administrer au bébé. Je pense à lui enfant, mais il n'aura aucune association.

C'est la seconde fois seulement au bout de quatre mois de thérapie que l'angoisse peut être reconnue.

Moi : « Ça fait beaucoup de tensions, tout ça, les choses sont allées vite, se sont un peu bousculées ; puis il y a eu la maladie du père de Monsieur, très vite après la naissance de Gaston, ça fait beaucoup d'angoisse autour de la mort.

Madame : - Oui, on l'entend maintenant. »

Et je sais que nous sommes tous trois, le père, la mère et moi sensibles au double sens des paroles qu'elle vient de prononcer.

À l'exception de l'agonie du grand-père paternel, la plupart des éléments de cette histoire m'ont été donnés à la première consultation, comme m'ont été exposés les différents symptômes de l'enfant. Mais, encore une fois, c'est dans le tissage associatif et transférentiel qu'ils ont pris sens petit à petit.

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