Lorsqu’un parent s’interroge sur l’éducation de ses enfants, il essaie généralement d’éviter deux écueils : l’excès de sévérité et l’excès de laxisme. Jamais l’idée ne l’effleure que ce choix pourrait n’avoir aucune conséquence. Lorsqu’un adulte traverse une période de déprime et songe à son enfance, il se souvient de telle ou telle difficulté qu’il a rencontrée avec ses parents et qui lui laisse encore un goût amer. Alors que ses souvenirs de famille sont gravés à jamais dans sa mémoire et ressurgissent à la première sollicitation, jamais il n’imaginerait qu’ils ne sont pour rien dans son passage à vide.
Dans le débat sur l’inné et l’acquis, la question a été pendant longtemps de savoir si notre personnalité était inscrite dans nos gênes ou au contraire forgée par notre environnement. Aujourd’hui, alors que de nombreuses études ont été faites dans ce domaine, on ne surprendra personne en affirmant que la génétique est responsable de 40% à 50% de notre personnalité, que l’on qualifiera d’innée. Tout le mondre s’attend à ce que l’autre moitié provienne de notre environnement, c’est-à-dire de l’éducation de nos parents.
Or ce que Judith Rich Harris démontre c’est que l’éducation des parents a très peu, voire aucune, influence sur la personnalité des enfants. Quand elle parle d’éducation elle englobe tous les types de comportements que les parents peuvent avoir à l’égard de leur progéniture : laxisme, sévérité, encouragements, affection, châtiments corporels, colères, jeux éducatifs, lecture de livres, divorce, monoparentalité, préférence pour le « petit dernier », etc. à l’exclusion des maltraitances gravissimes.
Ces différentes attitudes de la part des parents, qui pour des raisons culturelles nous semblaient déterminantes pour l’évolution des enfants, n’ont en réalité aucune conséquence sur leur personnalité en-dehors du cercle familial. Elles n’expliquent qu’une part négligeable des différences de personnalité une fois qu’on a retiré les variations dûes aux gênes. En d’autres termes, la part du comportement d’un enfant qui est acquise ne provient pas de ses parents.
Pour combler le vide ainsi créé, Judith Rich Harris propose une nouvelle théorie, selon laquelle nous acquérons notre personnalité au cours de l’enfance en imitant notre groupe de pairs, c’est-à-dire les enfants dont nous nous considérons comme proche et auxquels nous nous comparons. Ces groupes sont très variables selon le milieu dans lequel nous évoluons, la taille des écoles, le milieu urbain ou rural, la diversité des origines ethniques. Mais ce qui est plus étonnant c’est que les groupes de pairs se différencient les uns par rapport aux autres même lorsque le milieu social semble a priori homogène. Ils recréent ainsi de la diversité dans un environnement a priori non diversifié.
Par une analyse rigoureuse, Judith Rich Harris commence par pointer du doigt les erreurs méthodologiques et les présupposés qui ont conduit des chercheurs à systématiquement démontrer le résultat que nous voulions jusque là trouver en dépit du bon sens : le primat de l’éducation parentale. Ne retombant pas dans le même piège, elle ouvre le champ aux expériences qu’il faudra encore mener afin de valider sa théorie.
Elle a publié son article de référence en 1995 et a été primée, deux ans plus tard, par l’American Psychology Association.
1 commentaire:
Oui et non. Ton analyse est très influencée par le primat de l'éducation parentale, mais la réalité n'est pas aussi sombre si on la regarde ainsi :
1) L'idée que nous sommes déterminés par nos gênes ne nous plaît pas car elle va contre notre tendance culturelle actuelle qui privilégie l'égalité. Malheureusement les preuves scientifiques s'accumulent depuis 15 ans pour dire que le pourcentage d'inné est bien autour de 40 à 50%. Cela vaut pour de nombreux traits de caractère : sociabilité, méticulosité, religiosité, aggressivité, manque d'intérêt pour autrui, et... QI.
2) Au cas où des différences existeraient au départ, nous aimerions pouvoir les corriger par nos actions en tant que parents. Nous attachons beaucoup trop d'importance au choix d'un style éducatif parce que nous croyons dans notre libre-arbitre en tant que parents. Mais ce n'est peut-être qu'une illusion : l'attitude des parents est largement déterminée par leurs propres gênes, voire même par les gênes de leurs enfants. Un enfant "chiant" sera traité plus sévèrement, quel que soit le caractère de ses parents. Des études passionnantes existent à ce sujet.
3) La solution réside ailleurs : lorsqu'un problème existe, et qu'un enfant ne se développe pas comme on le souhaiterait, Judith Rich Harris pense qu'il y a une chance d'améliorer la situation en le changeant d'école, voire en déménageant complètement.
On ne peut pas changer ses gênes, ni ses parents, mais on peut changer d'amis!
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