30 janvier 2006

Qui veut gagner 183 millions ?

Pour le tirage d'Euro Millions du 3 février prochain, le jackpot estimé est de 183 millions d'euros.

Est-ce indécent ?

Essayons de comprendre de quoi il s'agit avant de porter un jugement. La Française des Jeux propose plusieurs jeux dont chacun est caractérisé par un rendement et et un risque donnés. Pour Euro Millions :

  • le rendement est de 50% puisque la Française des Jeux ne redistribue aux gagnants que la moitié des mises des joueurs,
  • le risque est élevé, puisqu'en moyenne 19% des mises sont affectées au(x) gagnant(s) de rang 1 et 31% aux gagnants des rangs 2 à 12.

La spécificité d'Euro Millions est donc sa répartition très inégale des gains, qui permet d'avoir ces fameuses cagnottes astronomiques. Cela provoque certaines réactions sur le caractère indécent du jackpot de Vendredi prochain.

Mais la réalité est plus subtile car la Française des Jeux propose de nombreux autres jeux, avec des profils différents. Je ne les ai pas étudiés en détail, mais il y a fort à parier – c’est le cas de le dire – qu'Euro Millions est le jeu qui présente le niveau de risque le plus élevé. Or c'est justement vers ce jeu que se tournent la plupart des joueurs, spontanément, alors qu'ils pourraient choisir un jeu moins risqué. Tout ce que l'on peut dire de cette cagnotte, c'est que les participants aux jeux de tirage ont une attirance pour le risque.

Je souhaite rappeler l'autre caractéristique de ce jeu, qui est que le montant redistribué aux gagnants ne représente que 50% des mises. Là le joueur n'a pas le choix, contrairement à ce qui touche au niveau de risque. Le prélèvement de 50% est en effet fixé par la loi et mis en oeuvre par la Française des Jeux dans le cadre d'un monopole légal. Une toute petite partie de ces 50% sert à financer les frais de la Française des Jeux, et le reste constitue un impôt « volontaire » puisque tous ceux qui le paient n'y sont pas obligés.

Si le monopole était retiré à la Française des Jeux, il se créerait immédiatement d'autres jeux de tirage privés ressemblant à Euro Millions, qui reverseraient nettement plus que 50% des mises aux joueurs, et il est probable que cela attirerait des joueurs supplémentaires. Serait-ce une bonne chose ? En tout cas, il serait naïf de croire que le système actuel « préserve » les Français du vice en laissant à une institution publique le monopole des jeux de tirage. Nous voyons en effet que les états ne peuvent pas résister à la tentation de maximiser cette recette fiscale politiquement indolore. Et pour ce faire, ils ont compris que les jeux à méga-cagnottes, ayant un niveau de risque élevé, sont ceux qui présentent le meilleur rendement.

Faut-il jouer ?

Le nombre de joueurs aux derniers tirages a cru régulièrement avec le montant du jackpot comme le montre le graphique suivant :







Rappelons de façon très schématique la règle de répartition des gains à Euro Millions pour comprendre comment le jackpot est calculé :

- 50% des mises du tour sont prélevées par la Française des Jeux ;

- 31% des mises du tour sont distribuées aux gagnants des rangs 2 à 12 du même tour ;

- si il y a un ou plusieurs gagnans au rang 1, il(s) remporte(nt) la cagnotte plus 11% des mises du tour ;

- sinon, ces 11% et la cagnotte constituent la cagnotte du tour suivant ;

- quoi qu’il arrive, les 8% restants sont affectés à la cagnotte du tour suivant.

Entre le 21 octobre 2005 et le 27 janvier 2006, il y a eu onze tirages sans gagnant au rang 1. En conséquence, la cagnotte initiale de 15 millions d’euros a été complétée à chaque tour et on arrive aujourd’hui à une cagnotte de 152 millions d’euros. Le jackpot affiché de 183 millions d'euros correspond à une estimation des gains – y compris la cagnotte – au cas où il y aurait un ou plusieurs gagnants de rang 1.

Il y a eu 115 millions de grilles jouées au dernier tirage, et l’attrait de la nouvelle cagnotte record va probablement augmenter encore ce chiffre. Faisons l’hypothèse qu’il y aura 140 millions de grilles jouées Vendredi prochain. La probabilité pour qu’il y ait un gagnant de rang 1 est de l’ordre de deux chances sur trois. Il est donc intéressant de regarder les deux scénarios.

Si il y a un ou plusieurs gagnants de rang 1, l’espérance de gain correspond au pourcentage des mises redistribuées au même tour plus l’espérance de gain de la cagnotte. Pour une grille à deux euros, cela donne :

- part des mises redistribuées aux gagnants des rangs 2 à 12 : 31% soit 0,62€

- part des mises redistribuées au(x) gagnant(s) de rang 1 : 11% soit 0,22€

- cagnotte : 152 millions d’euros / 140 millions de grilles = 1,09€

On voit donc que l’espérance de gain conditionnelle en cas de gagnant(s) au rang 1 est de 0,62 + 0,22 + 1,09 = 1,93€.

Si il n’y a pas de gagnant de rang 1, l’espérance de gain sera de 0,62€ seulement. Dans les deux cas, on voit que l’espérance de gain d’un ticket payé 2 euros reste inférieure à ce montant malgré l’immense cagnotte.

Notons que le règlement du jeu Euro Millions prévoit qu’il peut y avoir au maximum douze jeux successifs sans gagnant de rang 1. Au treizième jeu dans ce cas, les gains du rang 1 sont répartis entre les gagnants de rang 2 et la cagnotte n’est pas reportée une treizième fois. Cela se produira le 10 février si il n’y a pas de gagnant de rang 1 le 3 février.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Tout ce que l'on peut dire de cette cagnotte, c'est que les participants aux jeux de tirage ont une attirance pour le risque."
Je pense au contraire que l'immense majorité des joueurs n'a absolument aucune idée de la véritable espérance de gain. Ce n'est donc pas le risque qui les attirent mais le montant de la cagnotte.